Plusieurs amendements adoptés ont significativement renforcé l’imposition des ultra-riches et des multinationales, pour près de 40 milliards d’euros de recettes supplémentaires, dont :
- la taxe dite Zucman sur les bénéfices des multinationales réellement réalisés en France (26 milliards d’euros)
- la taxe sur les rachats d’actions (6,5 milliards d’euros)
- la taxe sur les superdividendes (4,8 milliards d’euros)
- la pérennisation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), mais uniquement jusqu’à ce que le déficit soit inférieur à 3 % du PIB
- l’abaissement du seuil de 750 millions d’euros à 500 millions d’euros pour l’assujettissement à l’impôt sur les bénéfices des multinationales
- le rétablissement de l’exit tax (environ 25 millions d’euros)
- le doublement du taux de la taxe sur l’exploitation des infrastructures de longue distance (0,6 milliard d’euros)
- l’instauration d’une taxe sur les plateformes de logements touristiques pour financer le fonds d’aide pour l’érosion côtière
Certaines mesures restaient par contre trop timides si on tient compte de la nécessité de réformer les niches en question :
- la limitation du pacte Dutreil aux seuls actifs professionnels
- le remboursement du crédit d’impôt recherche (CIR) des trois derniers exercices en cas de délocalisation ainsi que son conditionnement au maintien de l’emploi sur le territoire national et la protection des emplois liés directement liés aux projets ayant bénéficié du crédit d’impôt
Cet examen a été l’occasion d’alléger des impôts de la majorité des contribuables et d’améliorer leur quotidien :
Soit en rejetant des propositions injustes prévues par le Gouvernement (-6,5 milliards d’euros) comme :
- le gel de l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu (-1,9 milliard d’euros)
- la suppression de la défiscalisation des indemnités journalières versées aux bénéficiaires du dispositif d’affection longue durée (ALD), de la réduction d’impôt sur les frais de scolarité ainsi que les avantages fiscaux sur les carburants B100 et le E85 (-1,6 milliard d’euros)
- la réforme du régime d’aide fiscal en outre-mer (-0,01 milliard d’euros)
- la forfaitisation de l’abattement de 10 % pour les retraités (-1,2 milliard d’euros)
- la version initiale de la taxe sur les petits colis, transformée pour épargner les consommateurs
- la taxe sur les produits de vapotage (-0,24 milliard d’euros)
- la réforme de la franchise de base de TVA pour les micro-entrepreneurs (-0,52 milliard d’euros)
- la réduction de 25 % de la compensation aux collectivités territoriales de l’abattement de 50 % sur la base des locaux industriels assujettis à la taxe foncière (-0,8 milliard d’euros)
- la création et le rehaussement de divers droits de timbre relatifs au droit au séjour et à l’accès à la nationalité française ainsi que la création d’une contribution de 50€ pour l’aide juridique (-0,2 milliard d’euros)
- la mise à la charge de la personne condamnée de tout ou partie des frais d’enquête pénale
Soit en ajoutant de nouvelles mesures, dont :
- la surtaxe sur l’import de produits agricoles ne respectant pas nos normes de production
- l’exonération de TVA pour les achats de denrées par les associations d’aide alimentaire
- l’exonération de TVA sur les produits de première nécessité et le blocage des prix
- l’exonération de TVA pour les refuges et les associations de protection animale sur l’achat et la livraison de produits d’alimentation et d’hygiène animale ainsi que sur les produits et les prestations vétérinaires nécessaires à leur mission
- la mise en place d’un taux réduit de TVA de 5,5 % sur les abonnements d’électricité
- l’amélioration de la compensation de la perte de la CVAE pour les collectivités locales
- l’extension du Prêt à taux zéro (PTZ) au bail réel solidaire (BRS)
- la transformation de la réduction d’impôt EHPAD en crédit d’impôt
- la transformation de la niche Coluche en crédit d’impôt
- la déconjugalisation des dettes fiscales en cas de séparation
- le renforcement du crédit d’impôt bio
- le suramortissement vert pour le transport maritime à la voile
- la création d’un fonds de mobilisation départemental pour les jeunes majeurs de la protection de l’enfance
- le rétablissement de l’affectation d’une partie du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) et de la taxe sur les billets d’avions (TSBA) à la solidarité internationale et la santé mondiale
Toutefois, ces avancées restaient enchâssées dans un texte pétri de contradictions dont les régressions et les manquements ont empêché tout soutien. Contrairement à l’année dernière, le texte mis aux voix n’était pas suffisamment transformé.
D’une part, le résultat était moins-disant par rapport à celui issu de l’examen de l’an dernier. Les recettes supplémentaires auraient, certes, diminué le déficit prévisionnel pour 2026 de 4,7 % du PIB à 4,1 % du PIB et le solde budgétaire de près de 30 milliards d’euros – ce qui montre une fois encore que le déficit est dû à la baisse des recettes, mais la réduction aurait été moindre que celle issue des amendements adoptés à l’automne 2024. D’importantes mesures qui avaient été adoptées n’ont effectivement pas été retenues par l’Assemblée nationale ces dernières semaines :
- la taxe dite Zucman sur les patrimoines supérieur à 1 milliard d’euros (13 milliards d’euros)
- la contribution exceptionnelle à hauteur de 10 % sur les dividendes distribués par les entreprises du CAC40 (7 milliards d’euros)
- l’impôt universel différentiel
- l’augmentation de la contribution exceptionnelle des entreprises
- la limitation à 500 millions d’euros de la réduction d’impôt permise par la taxe au tonnage (0,9 milliard d’euros)
- l’exclusion des holdings du régime mère-fille (1,5 milliard d’euros)
- le rétablissement de la CVAE (2,2 milliards d’euros)
D’autre part, des reculs étaient à noter (-3,2 milliards d’euros au minimum) :
- la dégradation de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en un impôt sur la fortune improductive moins-disant
- la diminution de la contribution exceptionnelle des grandes entreprises pour les entreprises de taille intermédiaire (-2 milliards d’euros)
- la défiscalisation des heures supplémentaires (-0,5 milliard d’euros)
- le trop léger rehaussement de la taxe GAFAM (0,65 milliard d’euros)
- la hausse de 42 500€ à 100 000€ du bénéfice imposable éligible au taux réduit d’impôt sur les sociétés de 15 % (-1,8 milliard d’euros)
- les abattements supplémentaires sur les successions
- des réductions du financement d’agences et opérateurs introduites par amendements, donc autant de baisses de moyens pour le service public
Enfin, cette version du texte souffrait du doute instillé par le Gouvernement.
De manière contestable, celui-ci dresse un portrait flatteur des impôts qui l’arrangent :
- la pérennisation de la CDHR : 1,5 milliard d’euros
- Mais la CDHR était déjà présente dans le texte, elle a juste été pérennisée.
- la taxe sur les holdings : 100 à 200 millions d’euros
- Mais cette taxe était prévue à 1 milliard d’euros dans le texte initial, elle a donc été rabotée de 800 à 900 millions d’euros
- l’impôt sur la « fortune improductive » : 500 millions d’euros
- Mais le taux d’IFI a été réduit par amendement : il va donc diminuer par rapport aux 3,1 milliards d’euros initialement attendus. Il existe également un risque d’éviction depuis les placements d’assurance-vie vers d’autres produits financiers
En revanche, il fragilise la crédibilité des impôts qui le dérangent. Dans son décompte des recettes supplémentaires, le Gouvernement exclut certaines mesures au prétexte qu’elles seraient contraires au droit de l’Union européenne ou à d’autres engagements internationaux de la France. Ces interprétations sont tout à fait contestables. Je note en particulier que :
- Concernant les rachats d’actions, le caractère contraire de la taxe à la directive mère-fille n’a pas de réel fondement. La Commission européenne, dans une réponse écrite de janvier 2025, avait d’ailleurs précisé que ces opérations, « qui ne sont pas considérées comme des distributions de profits, n’impliquent pas des transactions relevant du champ de la directive mère-fille » ;
- Concernant l’abaissement du seuil de chiffre d’affaires à partir duquel s’applique l’imposition minimale à 15 % des multinationales, la directive européenne « ne prohibe pas », selon les termes de la direction de la législation fiscale (DLF), une application aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 750 millions d’euros ;
- Concernant la taxation des bénéfices des multinationales proportionnellement à leur activité réalisée en France, elle n’est pas contraire aux conventions fiscales. Les 136 pays membres du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 ont rendu redevables de l’impôt complémentaire dû au titre de la règle d’inclusion du revenu (RDIR) les sociétés-mères d’un groupe multinational pour leurs filiales établies et faiblement imposées dans un pays étranger sans avoir renégocié l’ensemble des conventions fiscales ;
- Concernant la taxe sur les superdividendes, le risque constitutionnel est faible. Le Conseil constitutionnel a en effet infléchi sans jurisprudence en matière de discrimination à rebours (décisions n° 2019-813 QPC et 2019-832/833 QPC). Il apparaît donc probable que le Conseil constitutionnel admettrait l’objectif poursuivi par le législateur fiscal d’imposer plus lourdement les distributions de dividendes pour inciter les sociétés à privilégier la constitution de fonds de roulement et l’investissement en fonds propres. Il pourrait également considérer que l’exclusion de cette imposition de la fraction des dividendes ayant pour origine des filiales intra-européennes, qui est imposée par le respect des exigences européennes, est conforme à l’objectif ainsi poursuivi.
En conclusion, dans le cadre d’un parlementarisme très fortement rationnalisé, il importe de noter que le vote sur un texte doit aussi tenir compte du Gouvernement : concernant à la fois la lecture qu’il fait du texte mais aussi les intentions qu’il exprime pour la suite de la navette et son issue. Voter sur un texte, c’est voter en restant conscient de certaines velléités de rayer de nombreuses avancées d’un trait de plume. L’acte constitutif d’une opposition parlementaire, c’est de voter contre le budget du Gouvernement et, au regard de cet examen, il s’agissait de la seule issue possible. La partie relative aux dépenses n’étant pas examinée, cet unique vote était l’occasion de se prononcer contre tout le budget.