Éric Coquerel

Député de la 1ère circonsription de Seine-Saint-Denis

Retrouvez dans cette rubrique le texte d’Eric Coquerel sur l’écosocialisme, qui résume son orientation politique !

De l’écosocialisme en particulier

Les élections européennes sont passées. L’Union européenne n’a pas changé. Les promesses se sont déjà évaporées – plus d’Europe sociale, écologique et « gnagna ». Les partis institutionnels majoritaires, dont LREM en France, ont déjà calciné les promesses de renouvellement : ils ont mis les mêmes personnes aux commandes pour la même politique. Le « couple franco-allemand » reste conduit par la droite allemande et les intérêts de sa bourgeoisie, avec Mme Von Leyden – réplique politique de Mme Merkel, à la présidence de la commission européenne. C’est normal : l’ordo-libéralisme made in Germany convient parfaitement à Monsieur Macron, comme il a convenu auparavant à Messieurs Sarkozy et Hollande. C’est ainsi qu’un social-libéral a été élu à la tête du parlement européen : échange de bons procédés entre libéraux de tous bords, dont les partis français PS, LREM et LR.

Fermez le ban, il n’y a rien à voir ni à espérer de ce côté-là.

L’élection européenne n’aura donc rien changé en Europe. Le scénario s’est réalisé comme le souhaitait le camp de l’extrême marché. Il s’est choisi l’extrême-droite comme seul sparring-partner au risque qu’elle finisse par le mettre K.O dans plusieurs pays européens. Profitant à plein de ce jeu de dupes, l’extrême-droite a déjà progressé partout.

À l’inverse, notre espace politique régresse ou, au mieux, se maintient quelle que soit sa stratégie ou sa tactique. Dans notre course de vitesse contre des partis d’essence fasciste, ces derniers ont encore pris une longueur d’avance. Je reviendrai plus loin sur ce recul, car il est essentiel pour comprendre notre échec.

Je pose au préalable quelques autres raisons de l’échec de la liste de La France insoumise.

J’ai également été occupé par d’autres tâches, toutes prioritaires à mes yeux : celles liées directement à mon mandat à l’Assemblée nationale, mais aussi au soutien de plusieurs mobilisations récentes, comme celle des postiers du 92 -victorieux après 15 mois de grève.

Être sur le terrain de l’action est utile pour la meilleure des réflexions qui soit, celle qui découle d’une praxis réelle et concrète. Surtout, je ne souhaitais nullement écrire avant l’assemblée représentative de notre mouvement. Il était en effet souhaitable de laisser les groupes locaux s’emparer de la réflexion avant de paraitre donner du « haut » le prêt à penser. L’implication citoyenne commence aussi par cette autodiscipline des « responsables ».

De quelques raisons de l’échec

En ouverture, je répète que je ne crois nullement à des raisons endogènes à la campagne pour expliquer cet échec. Bien entendu, comme toute campagne, elle mérite remarques et critiques. Ne serait-ce que pour améliorer les prochaines.

Mais je remarque que les critiques se contredisent, les un-e-s ayant trouvé la campagne trop clivante, les autres pas assez. En réalité, je trouve qu’elle a incarné à la fois la rupture nécessaire, via la revendication de la sortie des Traités, et su présenter des solutions alternatives. Une méthode que nous avons pratiqué à chaque élection, et depuis lors, sur les bancs de l’Assemblée nationale.

J’ai entendu dire, par exemple, que la méthode du « plan A/ plan B » aurait été trop délaissée ou tout au moins atténuée. C’est vrai, mais cela ne date pas de cette campagne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais rédigé un post rappelant que le « plan A » et « le plan B » sont, dans les deux cas, une méthode de rupture.

Il faut absolument que dans les années à venir, à l’approche de l’élection présidentielle, nous nous accordions sur une seule définition de cette méthode, et que nous la stabilisions.

Mais qu’elle qu’eût été la qualité des explications du « Plan A/ Plan B » pendant la campagne, le fait qu’elle ne puisse s’appliquer qu’au cas où nous gouvernions, et non au Parlement européen, relativise son impact sur les électeurs et électrices des Européennes. Je pense même qu’en dehors des cercles très politisés, cette méthode de rupture est passée largement inaperçue aux yeux de ceux qui ont voté ou se sont abstenus, et n’a donc eu aucune portée sur leur choix.

Il est en réalité compliqué de donner de l’éclat à une élection sans teint. On touche là une des explications du résultat de la liste menée par Manon Aubry. L’élection européenne est particulièrement difficile pour notre courant car nous portons un discours honnête, mais pas mobilisateur. Annoncer que rien ne pourra changer en profondeur dans l’UE sans rupture et que cette rupture est impossible dans le cadre du parlement européen, est vrai mais n’incite pas franchement à aller voter pour les dits parlementaires. C’est encore plus vrai pour une part importante de l’électorat qui avait fait le socle du résultat de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, et, à un degré moindre, aux législatives.

Non seulement beaucoup de ceux-là s’abstiennent lors des élections intermédiaires mais plus encore lors des Européennes, par défiance si ce n’est par rejet de cette Europe-là. On me dira que l’électorat du Rassemblement National ne devrait pas être plus enclin à se mobiliser pour cette élection. Sauf qu’il a été galvanisé par l’objectif de passer devant la liste supportant Emmanuel Macron. Ce dernier y a largement contribué en faisant de sa confrontation avec Marine Le Pen la seule raison d’être de cette élection. À 7 ou 9 % dans les sondages, qui ont encore révélé leur rôle auto-réalisateur, il était difficile pour La France insoumise de mobiliser un électorat pourtant très opposé à la politique gouvernementale.

Pourquoi, dès lors, l’électorat des classes intermédiaires qui avait soutenu le candidat Jean-Luc Mélenchon en 2017 –notamment la jeunesse, parmi laquelle il fut largement en tête -, ne nous a pas permis de limiter la casse, d’approcher un score à deux chiffres ? Force est de constater que le temps long avantage encore EELV, parti historique de l’écologie, quand la question climatique domine bien normalement les débats. Sans doute aussi que cet électorat-là adhère moins à la critique radicale que nous faisons de l’UE. Il est plus enclin à faire un « vote de confort » en faveur d’une liste « réformiste » sur le sujet de l’UE telle que celle de Yannick Jadot. Sans doute ces classes intermédiaires, dans la période instable que nous vivons, vont au plus fort. « Il y a crise révolutionnaire quand ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant et quand ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant. Et quand ceux du milieu hésitent et peuvent basculer » écrivait Lénine en 1905. Cela reste exact, dans les grandes lignes, même pour décrire un processus de révolution citoyenne.

C’est que ces élections ne se sont pas situées dans une séquence révolutionnaire. Un moment dégagiste oui, destituant dans les profondeurs du pays, oui ! Mais pas révolutionnaire si l’on considère qu’une révolution doit renverser l’ordre établi et porter en elle une essence anticapitaliste. Ce que ne sont ni le Rassemblement national de Marine Le Pen, ni la Ligue de Mateo Salvini pour ne citer que deux des partis d’extrême-droite les plus importants en Europe. Il ne peut y avoir de révolution sans vague dégagiste, mais la vague dégagiste ne conduit pas forcément à une révolution. Or, cette vague gonfle aujourd’hui le nombre d’abstentions et les scores des mouvements d’extrême-droite, plus que les nôtres.

Sans doute avons-nous vu trop belle la période précédant les Européennes. La progression de l’extrême-droite se nourrit du ras-le-bol individuel mais se dispense du dynamisme des mobilisations sociales. On peut même dire qu’au contraire, elle se nourrit de leurs reculs et de leurs défaites : si le fascisme a toujours récupéré une partie du vocabulaire des mouvements ouvriers, il a toujours été étranger à la lutte des classes comme moteur d’une opposition collective au mode d’exploitation capitaliste.

C’est une logique implacable car, encore une fois, l’extrême-droite ne s’est jamais opposée au système capitaliste libéral ; il en est une des variantes comme d’ailleurs le Rassemblement national et Mme Le Pen aujourd’hui. Il ne faut pas voir autrement son anti-syndicalisme épidermique, comme lorsqu’elle expliquait que les syndicats étaient « responsables » de la réforme de la SNCF en 2018. Il n’est pas non plus étonnant que dès mi-décembre, Marine Le Pen ait pris ses distances avec le mouvement des Gilets Jaunes dès lors que leurs revendications ont pris un caractère anti-systémique.

À l’inverse, le baromètre de notre courant suit la pression sociale : plus cette dernière est forte, plus attentive est l’écoute de nos principes dans la société. Or, s’il y a des mobilisations qui reflètent régulièrement l’exaspération sociale dans le pays –celle des Gilets jaunes vient évidemment de le démontrer-, elles se heurtent pour le moment à un mur, érigé de façon toujours plus autoritaire et répressive par le camp libéral au pouvoir. Une dérive inquiétante pour l’état de droit et même pour les fondements de la démocratie et de la République. Pour ma part, j’assume de pousser au maximum cette dialectique. Car soutenir tous les combats sociaux, ceux des postiers du 92, des salariés de la SNCF, des piquets de grève des travailleurs sans-papier, des femmes de ménage exploitées, des salarié-e-s de Conforama, ce n’est pas que préparer les conditions de la prise du pouvoir. C’est aussi se forger une conscience et une éthique militante, qui reconnaît la réalité de la vie de celles et ceux qui luttent, qui souffrent, et la réalité des rapports de force. C’est donc préparer un exercice du pouvoir au service des nôtres, débarrassé au maximum de la bureaucratisation, dont personne n’est jamais à l’abri dans la tanière de l’Etat.

L’affaiblissement numérique progressif du mouvement des Gilets jaunes à qui le gouvernement a opposé, non seulement la répression sociale la plus violente de la 5ème République mais aussi le piège minorisant de la violence, était un mauvais signe pour nous avant les Européennes. Si une lutte sociale est victorieuse, elle se recherche un débouché politique (la « gauche plurielle » de 1997 doit tout au mouvement social de novembre/décembre 1995). Et quand une lutte sociale reste massive jusqu’au bout (Sarkozy n’a pas cédé sur sa réforme des retraites, mais sa défaite en 2012 s’explique largement par la combativité, restée intacte, du mouvement social qui s’y était opposé), elle fait plier tous les pouvoirs. Concernant les Gilets Jaunes : lorsqu’un mouvement non seulement est défait mais se minorise, c’est une victoire de plus du très large camp libéral et capitaliste. Or depuis la réforme Pénicaud, l’ouverture à la concurrence de la SNCF, les Gilets jaunes, on assiste à un enchainement de défaites, comme on en a déjà trop connu.

J’ajouterai enfin les coups reçus. Si l’extrême-marché s’est choisi un opposant de confort, il ne se trompe pas d’adversaire réel. Ces deux dernières années auront été marquées par des attaques répétitives contre nous, et plus particulièrement contre notre porte-étendard qu’est Jean-Luc Mélenchon. Il fallait montrer que nous ne sommes pas ce que nous disons être : d’où les perquisitions dignes de celles subies par un groupe de mafieux, d’où les accusations calomnieuses d’antisémitisme, d’où les comparaisons ou, pire, accusations de porosité avec l’extrême-droite… Ces attaques ne sont en fin de compte pas si différentes, par leur nature, de celles subies par les animateurs des mouvements sociaux qui ont aussi droit aux insultes, aux gardes-à-vue, aux arrestations, aux renvois en correctionnelle. Mais cette fois, ces attaques ont particulièrement atteint leur but chez une partie de l’opinion publique.

Ce qu’il est convenu d’appeler le « camp démocratique » n’a jamais dénoncé ce que nous subissions. Cela a même été parfois l’inverse. Cela a pesé sur notre affaiblissement. Ces deux dernières années constituent une leçon capitale : ces attaques se poursuivront sur le plan politique à l’encontre des oppositions à Emmanuel Macron, dont La France insoumise, jusqu’à les réduire à la marginalité.

C’est, j’en suis certain, l’un des objectifs majeurs de la Macronie dans sa volonté de réduire le paysage politique, afin de le résumer à un « duel ultime » entre LREM et l’extrême-droite. Voilà pourquoi il est important de reconstruire des digues, à l’instar de l’appel des 40 organisations pour les libertés publiques et contre la répression que nous avons initié.

De quelques raisons pour rebondir

Voilà donc, et encore une fois pas seulement en France mais en Europe, l’explication première du mauvais résultat de nos listes. Nous sommes au creux d’une vague dans une période tempétueuse. Quiconque connait la mer sait que le creux d’une vague n’a rien d’un état stable, l’eau qui s’y trouve peut déferler sur une crête quelques temps plus tard. C’est particulièrement vrai dans la période d’accélération de l’Histoire que nous connaissons. Mais à la différence des vagues, les mouvements en politique n’obéissent pas à la mécanique des fluides : il est donc nécessaire d’agir pour se donner les chances d’une remontée.

Nous sommes toujours dans une période destituante. Elle se déroule, et est liée, à la triple urgence, climatique, sociale et démocratique que l’humanité affronte. Cette urgence n’a jamais été aussi profonde et lourde de danger civilisationnel. C’est dire les responsabilités qui sont les nôtres (« les nôtres » se devant être compris au sens large) car si le pire se détache, le meilleur est encore possible. Il n’est pas encore minuit dans le 21ème siècle.

Dès lors que faire et comment rebondir ?

Déjà ne pas aggraver notre situation.

Ne redevenons pas poussière. Pas après tous nos combats ! Appeler à un big bang, comme l’ont fait Clémentine Autain et Elsa Faucillon, a une signification. C’est appeler à une explosion d’où l’on espère que (re)naitra un monde. Au moment du big bang tout était poussière. En sommes-nous là ? Bien sûr que non. Des planètes existent, dont celle de LFI. La dernière fois que Clémentine Autain, et la quasi-même liste de signataires, ont appelé à un big bang, c’était en 2014 (dans Regards). Entre ces deux big bangs virtuels, il ne se serait rien passé ? Si, justement, et pas des moindres pour ceux qui comme moi, ou Clémentine Autain d’ailleurs, ont travaillé d’arrache pieds à l’unité de la gauche antilibérale (je l’appelle ainsi par commodité, nous l’avons plus tard baptisé Autre gauche) depuis au moins deux décennies : notre candidat a raté d’un rien le 2ème tour de la présidentielle, nous nous appuyons sur un groupe à l’Assemblée nationale, six députés au parlement européen, deux sénateurs, des dizaines de milliers de militants, des centaines de milliers de soutiens au programme l’Avenir en commun et, surtout, nous avons levé le verrou social-démocrate sur notre camp, objectif recherché depuis si longtemps.

Les revendications, légitimes, et dont d’ailleurs le principe avait été acté bien avant les Européennes, de cadres pérennes de représentation et de coordination de LFI, ont été adoptés lors de l’assemblée représentative de juin. Peut-être, dès lors, pourrait-on leur laisser une chance de produire leur effet et mettre en débat en son sein, plutôt que de le faire à l’extérieur ? La tactique du « un pied dedans, un pied dehors » n’est pas la meilleure pour peser sur un collectif. Surtout lorsqu’à la fin on appelle à lancer un cadre qui ressemble furieusement aux principes de LFI comme à l’objectif de Fédération populaire. Dans sa déclaration, ma camarade et amie Clémentine Autain appelle en effet à une « irruption citoyenne » qui ne soit pas un cartel de partis même si les partis y ont leur place, appuyée sur une « plateforme collaborative », des « assemblées citoyennes », de grands débats thématiques. Sur le papier, c’est très exactement ce pour quoi a été fondé LFI, c’est très exactement les méthodes qu’elle se propose de pousser plus loin encore..

Des combats titanesques nous attendent encore. Préservons l’avenir ! Quoi qu’on en pense, quel que soit le niveau de l’irritation que procurent certaines attitudes et initiatives, je juge autodestructeur d’importer dans notre espace la conflictualité du « eux » et du « nous ». Elle a cours depuis trop longtemps, notamment sur les réseaux sociaux, et sur plusieurs thématiques. Nous avons assez d’adversaires réels qui nous frappent sans retenue.

En fin de compte, je l’espère, même après des différends, des brouilles, des chemins qui s’écartent un temps, nous aurons à nous regrouper. Je ne parle pas seulement de la galaxie LFI. La forme que prennent nos débats est donc importante. C’est vrai aussi de celles et ceux, et envers celles et ceux, qui choisissent aujourd’hui d’appeler à des cercles constituants. J’estime ce projet tout aussi décalé avec la période que le big bang : estimant que la période est destituante, et que le niveau de conscience n’y est pas spontanément propice à une échelle de masse, je ne crois nullement à une reconstruction par l’émergence de cercles constituants. Ils auraient du coup tous les risques d’y regrouper une avant-garde constituante en lieu et place de l’implication citoyenne nécessaire. Mais si ce débat entre nous doit rester franc, il n’a pas lieu d’être fratricide.

Construire la fédération populaire

  • A 6,5 %, LFI ne peut prétendre incarner seule cet espace fédérateur comme elle aurait pu le faire à 19%. J’en ai décrit plus haut les raisons, s’y ajoutent sans doute nos propres erreurs, mais je ne voudrais pas oublier dans ce tableau la responsabilité de celles et ceux, y compris les partis, qui n’auront pas saisi cette opportunité en faisant fi des nuances, des égos ou des intérêts d’appareil en rejoignant la dynamique déclenchée par la séquence présidentielle / législative. L’histoire se serait sans doute écrite autrement. Je me souviens que pour certains d’entre eux ce fut le même refus de construire avec nous le Parti de Gauche naissant, alors même que celui-ci se voulait parti creuset et qu’il le fut en pratique. Là aussi l’histoire eut pu être différente en œuvrant ensemble pour un Front de gauche acceptant l’adhésion directe et dépassant sa forme cartel.

    Prétendre fédérer le peuple contre l’oligarchie financière et, pour le dire plus clairement, contre le système qui la porte, le capitalisme financiarisé, implique de remettre autant de fois le couvert que nécessaire. Tout comme nous avions utilisé le Parti de Gauche comme moteur d’allumage pour mettre en orbite un mouvement citoyen, LFI, un saut qualitatif et quantitatif essentiel, il me parait évident qu’il ne faudra pas hésiter à procéder de même pour servir de rampe de lancement à une fédération populaire encore plus vaste et apte à fédérer davantage le peuple. Peu importe l’outil tant l’objectif est prioritaire.

    Pour moi ce doit être la tache de LFI dans les deux ans à venir, que ce soit dans les mobilisations, les campagnes (ADP en est une évidente) ou les élections, avec pour objectif de gouverner le pays le plus vite possible. Ce qui impose, toujours, de rechercher une majorité et non de se couper des masses. Quel que soit par ailleurs le nom final de la fédération populaire, l’idée, posée par Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne européenne, est la bonne. Il n’y a pas d’autres solutions que de travailler à l’implication citoyenne, à ouvrir ce cadre à tous ceux, y compris les organisations, qui veulent y aider sincèrement, ce qui implique d’accepter de mettre de côté leur intérêt propre d’organisation une fois que le processus sera lancé, y compris pour LFI, le tout sur un contenu portant des germes anticapitalistes.

Municipales : déterminer les lieux de notre reconquête

  • Il lui faut des premiers champs d’application concrets. Sur le champ électoral, les municipales constituent un parfait terrain de démonstration. Il serait illusoire de l’imaginer possible partout car la période de recul touche aussi la disponibilité citoyenne à s’impliquer jusque dans des listes et surtout des responsabilités électorales quel que soit notre volontarisme en la matière. Passer de ce point de vue de l’envie aux actes nécessite de prendre confiance, d’obtenir des succès à mettre en avant.

    Écrivons le récit de notre reconquête ! Voilà pourquoi nous devons nous donner des priorités lors des prochaines municipales, des villes à conquérir. Sauf bouleversement social, le rapport de force enregistré lors de ces Européennes ne s’inversera pas en quelques mois. Je pense notamment aux grands centres urbains où EELV a réalisé ses plus forts résultats et où LREM a marqué des avancées. Je ne dis évidemment pas qu’il faut y délaisser le combat. Notre qualité militante permettra, j’en suis sûr d’y faire de belles campagnes, mais c’est ailleurs que nous pourrons, par des victoires, faire plus facilement des démonstrations de l’utilité de LFI, de sa centralité mais surtout de notre stratégie de fédération populaire. J’invite pour cela à s’appuyer sur les huit millions d’habitants des villes et des quartiers populaires urbains qui ont impulsé l’élan à la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon par leur adhésion largement majoritaire.

    Ce sont aussi eux qui nous ont donné la plupart de nos députés en 2017, par exemple en Seine-Saint-Denis, et qui nous ont permis de limiter les dégâts aux Européennes. Ma circonscription, la 1ère du 93, en est l’exemple avec une moyenne de 13,5 % pour LFI. Je n’abandonne pas, en écrivant cela, le travail avec et pour l’ensemble des délaissés de notre pays, notamment celles et ceux qui ont constitué le plus gros des Gilets Jaunes : ce serait tomber dans un piège grossier et contraire à la nécessité de fédérer le peuple. Mais les objectifs de victoires aux municipales n’y seront pas les même que là où les populations subissent toutes les inégalités, y compris celles liées à la couleur de peau ou à une supposé religion et qui, en conséquence, refusent le vote du RN dont le tropisme raciste et anti-musulman reste premier. Voilà d’où doit repartir notre reconquête. Je reparlerai plus amplement de cette question et de ce qu’elle induit dans nos rangs dans un prochain post, mais il faut déjà persévérer dans le travail commencé en rééditant une 2ème rencontre nationale des quartiers populaires, suite à celle que nous avions organisée en novembre 2018 à Épinay-sur-Seine.

Ni la « Gauche », ni le Populisme

  • Se définir par la gauche ou par le populisme, c’est se situer à la marge des choses. C’est un débat ré-ouvert par les Européennes : doit-on choisir entre la gauche ou le populisme ? On sait que cette question n’est pas seulement théorique. Se définir a évidemment des applications concrètes. Elle pourrait supposer un premier choix : s’adresse-t-on en priorité au peuple de gauche ou au peuple dans son ensemble ? Et du coup un second : par quel biais ?

    Au sujet de la première interrogation, j’ai toujours considéré le débat biaisé. Je continue à penser que les deux sont nécessaires et nullement contradictoires. Il existe bien sûr encore un peuple de gauche, fidèle aux valeurs historiques de la gauche d’avant le brouillage social-libéral, humaniste et social et à rebours du chacun pour soi néo-libéral, pour qui, au fond, la devise de notre république devrait rester le ciment du vivre ensemble. Il se situe à des degrés différents sur l’échelle de la radicalité mais se réfère encore consciemment au clivage gauche / droite.

    On peut même dire que l’émergence de LREM et l’écroulement concomitant du PS a clarifié le paysage. Bien des électeurs socialistes ont assumé rejoindre le camp du libéralisme en votant Macron. Une partie s’est d’ailleurs certainement réorientée vers la liste menée par Jadot aux Européennes. A l’inverse, même réduit, le « peuple de gauche » s’était largement porté sur Jean-Luc Mélenchon en 2017 et a permis à plusieurs de nos députés de l’emporter au second tour face à des candidats Macronistes, comme le prouvent les excellents reports de voix.

    Suffit-il pour l’emporter nationalement ? Non, il ne l’est notamment pas en terme électoral (quoi que, si je verse dans la réal-politique, j’observe qu’Emmanuel Macron a encore prouvé que le système électoral de la 5ème république n’oblige pas à rechercher 51 % d’adhésion mais qu’on peut se contenter d’un peu plus de 20% pour accéder au second tour puis l’emporter contre un adversaire). Il reste indispensable de rassembler toutes celles et tous ceux qui restent rebelles au libéralisme mais à qui la « gauche » ne parle plus après les années Hollande. Cette synthèse, Jean-Luc Mélenchon l’a accomplie quasi-naturellement sur sa candidature en 2017. C’est sa force. C’est une des raisons pour laquelle je suis persuadé qu’il sera encore notre meilleur atout en 2022.

    Mais construire un mouvement pérenne dans le temps impose de lui donner un dessein unifiant.

    On a vu que ce dessein ne peut être « la gauche » avec la stratégie d’union de la gauche que cela supposerait, pour remporter les élections. Est-ce forcément dépassé ? En tous les cas on n’en a pas encore fini avec la dette laissée par les échecs du 20ème siècle et plus particulièrement par le dévoiement de la social-démocratie en social libéralisme.

    Je ne crois pas non plus que ce puisse être le populisme, et ce pour les mêmes raisons finalement que la gauche. Le populisme répond déjà à de multiples définitions (ouvrez le Robert pour vous en convaincre) dont certaines sont totalement étrangère à notre combat. Ernesto Laclau analysait d’ailleurs lucidement cette difficulté :

    « Populisme est un concept insaisissable autant que récurrent. Peu de termes ont été aussi largement employés dans l’analyse politique contemporaine, bien que peu aient été définis avec une précision moindre. Nous savons intuitivement à quoi nous nous référons lorsque nous appelons populiste un mouvement ou une idéologie, mais nous éprouvons la plus grande difficulté à traduire cette intuition en concepts. C’est ce qui a conduit à une sorte de pratique ad hoc : le terme continue d’être employé d’une façon purement allusive, et toute tentative de vérifier sa teneur est abandonnée. »

    Même s’il est des définitions à revendiquer, je ne peux ignorer que d’autres s’en revendiquent aussi à l’extrême-droite -assimilation d’autant plus facile que les libéraux la leur ont attribuée-. Dès lors, même processus qu’avec la « gauche », il est très compliqué de se revendiquer d’un terme identique à celui qui caractérise nos pires adversaires. On a fait mieux question clarification. À moins de devoir l’entourer d’au moins autant de précautions que lorsqu’on veut se réapproprier le mot « gauche ».

    J’observe d’ailleurs que ceux qui s’y essaient utilisent le même principe qu’avec la gauche : d’un côté on a essayé de parler de « gauche antilibérale », « autre gauche », « vraie gauche » etc. ; de l’autre on a inventé le « populisme de gauche ». Avec les mêmes défauts de se placer en latéralité du concept général dont on veut ainsi se différencier. En double latéralité même : le « populisme de gauche » nous cisaille, à la fois par la distinction avec le populisme, et par celle avec le mot gauche. A bien des égards c’est encore pire qu’avec le mot gauche, puisqu’il s’agissait dans un cas d’éviter une assimilation avec le PS, et que dans celui-ci, il s’agit de l’éviter avec le fascisme… Au fond on arrive aux mêmes conclusions : la révolution citoyenne ne peut se construire à partir de l’unité de toutes les forces de gauche, mais encore moins de toutes celles qui se revendiquent populistes.

    Je note d’ailleurs que le « mouvement ouvrier » a déjà tenté dans l’histoire de se définir à partir du groupe social qu’il voyait comme moteur de la révolution : ce fut l’ouvriérisme. Ce concept ne s’est pas imposé en partie pour les raisons que je soulignais à propos du populisme. En regardant dans le passé, les périodes les plus fécondes de notre « camp » ont correspondu avec un concept en isme répondant à une idéologie alternative au capitalisme : socialisme, communisme… C’est je pense à cela que nous devons nous atteler.

Rassembler autour d’un projet, l’écosocialisme

  • Nous avons un outil, le mouvement citoyen, un programme de gouvernement avec l’Avenir En Commun. Au carcan de l’Union Européenne actuelle, nous opposons une méthode, celle du plan A, plan B pour rompre avec ces traités tout en nous donnant une possibilité de reconstruire une coopération européenne en faveur des peuples et du progrès. Enfin, surtout, nous portons un projet de reconquête républicaine avec la 6ème république par la constituante, qui est le moyen de notre révolution citoyenne.

    La 6ème République par la constituante ne se limite pas à un changement institutionnel. Elle est un projet global de société en ce qu’elle relance le moteur d’émancipation qu’est la République par l’irruption citoyenne qu’est la constituante. Les champs de la transformation qu’elle recouvre sont donc vastes : elle est avant tout le moyen de remettre la souveraineté du peuple au cœur de la République, y compris dans les entreprises par la démocratie sociale qui touche, de fait, à l’appropriation privée des moyens de production par le capital ; elle impose la sortie du bien commun (et de ses outils, les services et entreprises publiques) des lois du marché et du profit ; elle place la question de l’égalité réelle des droits au cœur de la République ; elle est écologique avec la constitutionnalisation de la règle verte,…

    Suffit-elle pour autant à définir le projet alternatif que nous mettons face au capitalisme, ou tout au moins sa version dominante qu’est le capitalisme financiarisé et mondialisé ? Suffit-elle aussi à nous définir si on part du principe que c’est ce projet qui, à terme, devait le faire ? Là encore non. Et ce pour plusieurs raisons. Je n’en citerai que deux. Tout d’abord si nous proposons un contenu à cette 6ème République c’est le peuple qui en disposera par la constituante. Ensuite, pour des raisons évidentes, elle ne peut être l’idéologie par laquelle nous proposons de coordonner des mouvements au niveau international. Or cette ambition est nécessaire si nous voulons lui donner une portée anticapitaliste universelle. Des tentatives ont été faites par le passé sans, à mon sens, que nous (alors le Parti de Gauche) insistions assez dans cette voie internationaliste.

    Enfin, se définir par un concept anticapitaliste impose que celui-ci réponde immédiatement aux trois urgences que le capital financier fait courir à la planète : écologique en priorité, social par l’accroissement historique des inégalités, démocratique par l’absolutisme du marché dont on voit bien ses capacités à transformer une démocratie libérale en régime autoritaire.

    Nous avons besoin d’un concept unificateur, car ces trois urgences ne tolèrent pas d’être hiérarchisées entre elles. Elles ne supportent pas leur mise en compétition. Bien sûr en dernière instance, tout revient à la question du « qui décide et qui possède ? ». Le peuple ou le roi ? Le peuple ou le marché ? La question est la même. C’est d’ailleurs, on ne le répétera jamais assez, ce sur quoi le clivage gauche/droite s’est fondé (nous sommes le 11 septembre 1789, pour simplifier le vote on demande aux députés de l’assemblée constituante qui sont contre le droit de véto du roi, et donc pour la souveraineté complète du peuple, de se placer à gauche, et à ses partisans de se placer à droite).

    Pour autant, la question sociale est un thème central à part et non réductible dans les faits, et donc dans la manière de s’adresser au peuple et à sa souveraineté. C’est, au fond, ce qui m’avait conduit à partir du MRC en 2003, considérant que la stratégie du Pôle Républicain imposé par Jean-Pierre Chevènement (l’unité des républicains des deux rives) avait pour conséquence de délaisser la lutte des classes au profit de la seule question de la souveraineté nationale. Le Souverainisme est la traduction politique de ce concept qui ne porte pas une dimension anticapitaliste. Il n’est pas de formule magique possible pour construire une alternative au système capitaliste, il faut répondre par le programme, les méthodes, la propagande, l’action et au final, le projet, aux dangers démocratiques, sociaux et écologiques qu’il fait courir à l’humanité.

    L’écologisme : voilà le concept creux que propose EELV. « Remplaçons la gauche par l’écologie » disent en substance tous ses responsables. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau que les Verts revendiquent l’écologie comme le nouveau et seul paradigme pour le 21ème siècle. Mais la contradiction pointe vite : Yannick Jadot imagine en son nom des alliances aux municipales pouvant aller jusqu’à la droite ; a priori David Cormand n’est pas d’accord. Derrière l’anecdote, au fond pas nouvelle dans ce courant politique, se traduit toute sa difficulté de positionnement. Nous pensons, à juste titre, que le tout marché, la financiarisation de l’économie, le libre-échange, le productivisme et le consumérisme forcené, caractéristiques du 3ème âge du capitalisme, ne peuvent répondre à l’urgence climatique et environnementale puisque c’est ce système qui la crée le plus largement. Même Nicolas Hulot fait cette critique radicale et systémique. Or l’écologisme ne porte pas naturellement cette dimension anticapitaliste. Le concept a de ce point de vue le même défaut que le souverainisme, il se concentre sur l’un des trois piliers mis en danger par le capitalisme. Il est incomplet et de ce fait recouvre des réalités différentes y compris au sein d’un même parti comme EELV. Voilà pourquoi je ne crois pas EELV capable d’occuper une 3ème voie face à l’extrême-marché et à l’extrême-droite, de fédérer dans le temps les classes populaires et intermédiaires. 

    Voilà pourquoi à l’inverse, je crois qu’il est temps que notre courant de pensée et d’action, propose un concept unificateur, une alternative complète au capitalisme du 21ème siècle, la base de possibles rassemblements. L’écosocialisme en a le potentiel. Mon parti, le Parti de Gauche, notamment sous l’impulsion de Corinne Morel-Darleux, y a travaillé à partir de 18 thèses. D’autres courants politiques s’y réfèrent à l’international. Je pense pertinent, et urgent, de poursuivre ce travail et de le replacer en centralité dans les taches à venir de La France Insoumise et de tout mouvement fédérateur qui pourrait advenir ensuite.

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