LUTTER CONTRE LE TRAFIC DE DROGUES

Retrouvez tous les travaux de la proposition de loi transpartisane, dont Éric Coquerel est initiateur et référent

NOTE D’INTENTION POUR LA PROPOSITION DE LOI
“Lutter contre le trafic de drogues”
Aujourd’hui en France, 240.000 personnes vivent des trafics de drogue, représentant un « chiffre d’affaire » de 4 milliards d’euros au niveau national. Ce dernier atteint dans certains départements, comme en Seine-Saint-Denis, des proportions bien plus importantes où l’on estime à 1 milliard d’euros le chiffre d’affaire, soit la moitié du budget départemental. Il s’agit donc d’une économie très importante. En 2017, lors de sa campagne électorale, Emmanuel Macron avait expliqué, vis-à-vis des jeunes des quartiers populaires, qu’il valait mieux être « Uber que dealer » : si le travail ubérisé s’est effectivement accru sous son mandat, il en est de même de celui lié au trafic de drogue. La crise du Covid a généré sur ce marché des pressions importantes telles que des difficultés d’approvisionnement avec une chute de l’offre et de la demande, et une augmentation des prix ayant pour conséquence des rivalités extrêmement fortes entre groupes de trafiquants pour la reconquête de territoires. Le trafic de drogue obéit en effet aux règles du capitalisme le plus sauvage et de la concurrence la plus guerrière. Dans cette activité, tout est précaire pour les « petites mains » du trafic y compris la vie ; en témoignent les nombreuses victimes dues à ces règlements de compte sur fond de trafics. En 2018, le SIRASCO (Service d’Information, de Renseignement et d’Analyse Stratégie sur la Criminalité Organisée) a recensé 77 règlements de compte faisant 106 victimes, dont 54 décès. La crise du Covid a accru ce phénomène : en février 2020, c’était presque une victime par jour. Malgré une politique essentiellement basée sur la répression depuis 30 ans, jamais la consommation n’aura cessé de s’amplifier (4% de la population étaient consommateurs réguliers en 1990 ; ils sont 11% aujourd’hui). À noter que ces 30 dernières années, le nombre d’individus arrêtés pour infraction à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par 50. Cette politique répressive fait interpeler 150.000 personnes par an, exige des fonds colossaux et mobilise 1 millions d’heures de travail de la police.

 

Autre preuve de l’inefficacité de la répression, la France est championne d’Europe de la consommation de cannabis : « Plus de 40% des adultes soit environ 20 millions d’individus, presque 1 personne sur 2 entre 15 et 64 ans, ont fumé du cannabis au moins fois dans leur vie (moyenne européenne : 19%). Par ailleurs, près de 5 millions de Français consomment une fois du cannabis par an, ou davantage ; parmi eux, 1,5 millions déclarent en fumée au moins 10 fois par mois, et 700.000 tous les jours. »(1)

Les conséquences du trafic de drogue sont une véritable plaie pour :

  • Les populations des quartiers populaires dans lesquels s’installent ces trafics, qui ont un quotidien pourri par la mainmise de cages d’escalier ou de cités entières. Violences, intimidations, dégradations matérielles, discrédit de ces quartiers sont leur lot quotidien sans compter la peur de voir leurs enfants « tomber » dans ce trafic.
  • Les petites mains des trafics de drogue attirées par « le mythe de l’argent facile » : ces jeunes ne sont pas recrutés n’importe où mais bien dans des quartiers où se trouvent des personnes en précarité économique et de décrochage scolaire. Les quartiers où vit un véritable terreau de main d’oeuvre bon marché subissent des carences en services publics, dans l’accès aux études et aux formations ; et sont concernés par des fortes difficultés sociales. Mais l’argent en tant que petite main n’a rien de « facile », au contraire. En effet, ces jeunes connaissent en réalité des journées de 12h de travail par jour, six jours par semaine, pour 50 à 100 euros par jour. Aussi, ces petites mains sont les premières victimes des règlements de compte mortels. Ces jeunes attirés par le trafic de drogue, à la fois cernés par le spectre du chômage et des difficultés à s’insérer dans la société, sont les premières victimes du déterminisme social et du sentiment de l’impossibilité d’avoir accès à un autre cadre de vie. À ce sujet, Bruno Laforestrie dit ceci, « L’État français permet à cette économie ultra-libérale, sauvage, sans foi ni loi, une économie de la seule prédation, la plus contraire aux droits fondamentaux de l’être humain, la plus opposée à notre Constitution, de se développer sur tout son territoire. Il ferme les yeux sur un capitalisme d’exception qui bouleverse la vie de millions d’individus, qui broie les communautés et annihile leur espoir d’émancipation » (2).
  • Les consommateurs car la dangerosité des produits, notamment du cannabis, n’a fait que s’accentuer au fur et à mesure de l’augmentation des trafics. La teneur de tetra-hydro- cannabinol (THC) était de 2 à 3% dans le cannabis vendu dans les années 70 ; elle atteint aujourd’hui 20 à 30%. C’est également vrai des drogues dures dont celles bon marché type crack.

 

Face à ce phénomène de société, il est quasi certain que la politique de durcissement de la répression annoncée par Monsieur Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, n’aura pas plus d’effets que les politiques précédentes. Lorsque des policiers sont mobilisés pour assécher un point de deal, la demande est telle que ce point réouvre, ou un autre point quelques mètres plus loin, quelques heures à peine après l’intervention de la police.

Il est donc nécessaire de prévoir un plan d’urgence contre le trafic de drogue capable d’appréhender toutes ces questions de façon systémique : prévention, santé, légalisation sous contrôle de l’État, l’accès aux études, aux formations et à l’emploi, et répression des filières de trafics de drogue, étroitement liées aux trafics d’armes

Cette proposition de loi vise à apporter une réponse globale au trafic de drogue. Après auditions de plus de 20 personnes, elle sera donc composée de propositions liées à chaque de ces parties dont nous détaillons ci-après quelques idées fortes (pas d’articles pour l’instant car l’idée est de puiser dans les témoignages et travaux des acteurs universitaires, sociaux et associatifs, spécialisés depuis de nombreuses années) :

  1. LÉGALISATION : la situation actuelle en France s’approche de l’époque de la prohibition aux États-Unis dans les années 30. Peu d’acteurs ne songeant aujourd’hui à interdire la consommation de cannabis, il convient alors de procéder à l’assèchement des trafics par la légalisation du cannabis sous contrôle de l’État. Cela aurait des conséquences sanitaires sur l’usage, avec une meilleure qualité des produits et sur la santé avec des poli- tiques de prévention comme cela se fait avec le tabac. Cela permettrait aussi de concentrer les force de police sur d’autres activités notamment les autres trafics. Cela permettrait aussi des filières d’embauche par le développement de circuits courts entre domaine agricole et points de ventes. Mais il faut une légalisation qui ne glisserait pas vers le phénomène de légalisation gentrifiée, c’est-à-dire où seules des personnes issues des centres urbains et avec un fort capital de départ aient les moyens de pouvoir monter un point de vente de cannabis. Finalement, empêcher la monopolisation du droit de vente aux centres urbains favorisés. Autre conséquence bénéfique : là où la légalisation a été mise en place, les violences entre bandes ont diminué ; c’est le cas notamment en Californie. Des points restent cependant à clarifier : est-ce que cela engendrerait une augmentation de la consommation même si ce ne semble pas être le cas là où elle a été instaurée ? Est-ce que cela ne conduirait pas les trafiquants de cannabis à se déporter sur des drogues plus dures même si ces deux trafics paraissent différents d’un point de vue de leur organisation ? Est-ce que cette légalisation sous contrôle de l’État ne figerait pas les inégalités sociales et raciales ? Autant de points à anticiper dans le cadre d’une telle légalisation.
  2. PRÉVENTION Santé et usages : Les campagnes de prévention, d’informations sur les effets sur la santé et sur les usages des drogues passent par une augmentation des moyens et des dispositifs accrus. Le budget de l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie n’était par exemple que de 3,5 millions d’euros en 2018.
  3. RÉINSERTION : La transition entre prohibition et légalisation doit impérativement s’accompagner d’un renforcement de l’accès aux études et aux formations, ainsi que d’une campagne de réinsertion professionnelle pour les jeunes impliqués actuellement dans les trafics de drogue, notamment les mineurs. La reproduction sociale, l’exclusion économique, la ségrégation sont des réalités en recrudescence parallèlement à l’augmentation du trafic de drogue.
  4. SÉCURITÉ : L’instaurera dans les quartiers concernés aujourd’hui par les trafics de drogues une police de présence quotidienne ayant un rôle de prévention et d’intervention de proximité. Les moyens consacrés à la police d’investigation doivent être renforcés par l’augmentation des effectifs des services de la police judiciaire spécialisés sur le sujet. La consolidation des financements de services fiscaux permettant de remonter les filières de blanchiment d’argent de la drogue est également primordiale. 

Bien évidemment si la mise en place d’un dispositif de lutte contre le trafic de drogue, passe par une législation complète sur ce sujet, elle ne prendra tout son sens que dans le cadre d’une politique globale permettant que des villes et quartiers aujourd’hui délaissés ne souffrent plus d’inégalités sur le plan de l’école, du travail, de la raréfication des services publics, de la santé, de la prévention sociale, du logement soit le terreau sur lequel pousse le trafic. Le rapport parlementaire « Cornut-Gentile » sur la Seine Saint-Denis décrit parfaite- ment la rupture d’égalité républicaine dont souffre un département populaire.

(1) HASCH, La honte de la République, Bruno Laforestrie, en collaboration avec Augustin Langlade, JC Lattès, 2020

(2) Id.

Liste des députés signataires :

Jean-Félix ACQUAVIVA

Rémy BARGES

Ugo BERNALICIS

Jeanine DUBIÉ

Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE

François-Michel LAMBERT

Michel LARIVE

Jean-Baptiste MOREAU

Richard RAMOS

Jean-Hugues RATENON

Bénédicte TAURINE

Michèle VICTORY

Patrick VIGNAL

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