Le gouvernement a, hier, prononcé la dissolution du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF).

Je connais très peu cette association. J’ai bien compris qu’elle servait de caution à celles et ceux qui reprochent, à plusieurs de collègues députés LFI et à moi, d’avoir signé un appel à marcher contre l’islamophobie le 10 novembre dernier suite à un attentat d’extrême-droite contre une mosquée. Au sujet de ma signature d’un appel comportant celle du CCIF j’avais expliqué dans une tribune de Libération, qu’il m’était aussi arrivé de signer des appels contre l’antisémitisme comptant la signature d’organisations communautaristes comme le CRIF ou même d’extrême-droite comme la LDJ. On conviendra que dans cette comparaison il y a mieux comme expression de sympathie ou de proximité avec le CCIF. Après la marche, j’en ai aussi voulu à son ancien directeur, Marwan Muhammad, d’avoir lancé un « Allahu Akbar » sur lequel se sont jetés tous les adversaires de la marche pour la dénoncer comme communautarisme voir « islamiste », alors que cette marche anti-raciste était à mille lieux de cela et demandait plutôt la protection à la République.

La question dans cette dissolution n’est donc pas de soutenir l’action du CCIF. Mais je ne peux non plus me résoudre à ce que l’Etat de droit soit malmené à son encontre. La justice ne peut pas s’appliquer qu’à nos amis les plus proches, sinon ce n’est plus la justice.

On attendait de connaître les faits qui sont reprochés au CCIF pour amener à sa dissolution annoncée suite à au meurtre terroriste de Samuel Paty.  

Dans l’attendu de quatre pages délivrées par le gouvernement, je note déjà qu’il n’y a aucun lien établi entre les faits qui ont conduit, même indirectement, à l’assassinat du professeur de Conflans Sainte-Honorine. Et pour cause, puisque l’association a expliqué avoir été saisie de plaintes de parents au sujet du cours et qu’elle avait refusé de les publier, conseillant plutôt une voie conciliatrice. 

Si l’association n’est pas dissoute pour cela, sur quelles bases l’est-elle ? 

C’est là où j’estime que l’Etat de droit est malmené.

Sur le fond juridique, l’un des motifs surtout reproché tient à une supposée absence de modération des commentaires. Le Ministère de l’intérieur construit donc une nouvelle forme de responsabilité administrative totalement indirecte et par abstention. Si l’on tolère de valider ce principe, alors, demain, n’importe quelle personnalité ou groupe d’opinion (qui sont confrontés exactement aux mêmes enjeux) pourra être dissoute de la même manière.

Un autre motif de dissolution, s’il était dupliqué, menacerait l’existence de toute organisation anti-raciste ou de défense des libertés. Il est en effet reproché au CCIF d’avoir qualifié d’islamophobes « des mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes et de prévenir ou combattre des actes punis par la loi » et en conséquence d’avoir partagé, cautionné et propagé de telles idées. Comme rien n’est précisé on peut donc en conclure qu’une organisation ayant, par exemple, critiqué le maintien de l’Etat d’urgence sécuritaire suite aux attentats terroristes, comme ce fut notre cas, pourrait se retrouver devant de telles accusations. De même pour les organisations qui, à l’avenir, pourraient par exemple s’opposer à la loi sur les séparatismes. Là encore, on conviendra de l’extrême dangerosité de cette accusation vague qui pourrait concerner beaucoup, beaucoup de monde. J’exagère, me diront certains ? Depuis que des responsables politiques et des ministres nous ont accusés de « complicité avec le terrorisme » pour avoir dénoncé la stigmatisation des musulmans, je crois plutôt être lucide.

En réalité, politiquement, si ce type de décret se multiplie, cela ouvre la porte à la dissolution d’organisations pour délit d’opinion, en particulier pour un motif de ne pas être d’accord avec le gouvernement en place. Et cette dérive sécuritaire est loin d’être appliquée à tout le monde : suite à ma lettre lui demandant la dissolution de Génération Identitaire, Monsieur Darmanin m’a glissé qu’il fallait rassembler « des éléments ». Dissoudre le CCIF est donc plus simple pour le gouvernement que de dissoudre un groupuscule qui usurpe la fonction de police aux frontières de l’Etat, et qui évoquent, dans des boucles Telegram, l’idée de « faire des attentats ».

Comment ne pas comprendre alors que cette dissolution, prononcée avec ce type d’accusations, apparaîtra comme une stigmatisation des musulmans, dans une période post-attentat ? Il faut en effet exiger des faits juridiquement incontestables, sinon on entre dans la loi du soupçon et des suspects forcément vécue comme stigmatisante.

On sait que lorsqu’on tolère une injustice dans la société, elle finit toujours par nous tomber dessus. Je crois que, sur la question des violences policières, c’est justement ce qui est arrivé : d’abord les quartiers populaires, les exilés, puis les Gilets Jaunes, les manifestants, … . Il nous faut donc, dès maintenant, percer cette nouvelle bulle autoritaire au sein de l’Etat.