Le mouvement social qui embrase le pays contre la retraite à points est historique. Non seulement par sa combativité, sa durée et le nombre de professions mobilisées mais aussi par sa forme. En apparence, il prend en effet les formes classiques des combats du mouvement ouvrier sauf qu’il s’appuie sur l’insurrection citoyenne démarrée il y a un an et demi par les gilets jaunes.
Le sujet n’est pas ici de l’analyser, mais notons qu’il s’enracine dans une auto-organisation des AG et comités de grève si ce n’est inédite, en tous les cas exceptionnelle. Il est également « global », frontalement tourné vers le retrait d’une réforme qui attaque l’un des piliers de notre patrimoine social, mais aussi plus largement contre les méfaits du néolibéralisme y compris dans son aspect de plus en plus autoritaire. Il est un livre ouvert qui compile les symboles de notre révolution, qui se réfère aux principes républicains incarnés par la devise « Liberté, égalité, fraternité » souvent évoquée dans les AG, aux combats de classe du mouvement ouvrier.
Pourquoi débuter ainsi cette tribune ? Parce que, clairement, ce mouvement porte en germe des valeurs que l’on peut qualifier de « gauche », du moins d’une gauche qui serait assimilée à la République sociale et non au quinquennat de François Hollande. Les conséquences ne seront pas les mêmes selon qu’il l’emporte en obtenant le retrait de la réforme des retraites ou qu’il échoue. Partout dans le monde, le capitalisme financiarisé voit les peuples se mobiliser contre ses dégâts mais sans qu’on ne sache de quel côté ces mouvements destituants se tourneront : issue identitaire ou égalitaire ? La victoire de l’actuelle mobilisation en France est donc un enjeu majeur.
Quoi qu’il arrive, Emmanuel Macron a idéologiquement perdu la bataille des retraites et probablement la prochaine élection présidentielle. Il imagine recommencer 2017 en se retrouvant au deuxième tour face à son assurance-vie Marine Le Pen. Sans même discourir sur l’issue d’un tel duel, faudrait-il encore que l’actuel hôte de l’Élysée accède au 2e tour ou soit même en capacité de se représenter.
La question est donc moins l’alternative à Macron que l’issue à cette période. Le premier devoir est donc de tout mettre en oeuvre pour faire gagner le mouvement. Les forces de « gauche » doivent, pour le moment, se concentrer sur cet objectif en bataillant dans la rue et à l’Assemblée, oeuvrant à des initiatives à même de bousculer le gouvernement dont une marche nationale d’un million de personnes à Paris, en lien et même sous la conduite de l’intersyndicale, pourrait être le bon exemple. Pour le retrait, toute unité de celles et ceux qui se réclament de la gauche ou de ses valeurs est évidemment bonne à prendre.
Est-ce que le débouché utile pourrait être pour autant le retour de l’union de la gauche ? Je ne le pense pas. Ce qui a été tenté, il y a peu, entre toutes les forces parlementaires, hors FI, pour aller plus loin qu’un front du retrait en portant une plateforme alternative à celle du gouvernement sur les retraites, le montre. à vouloir un compromis avec le PS, ce texte a fait l’impasse sur les questions essentielles : âge du départ à la retraite, durée de cotisation, nombre d’années de référence (10 ou 25 ?) pour établir les pensions. Sur ce sujet, comme sur d’autres, « la » gauche n’est donc toujours pas l’assurance d’une opposition frontale et cohérente au libéralisme. Impossible de faire un solde de tout compte des années Hollande, a fortiori alors que le PS n’en a pas tiré la moindre leçon. La solution ne viendra pas des vieilles recettes.
Bien sûr, il faut rassembler, plus que jamais fédérer et mettre en mouvement toutes celles et ceux, qui de plus en plus nombreux, s’y opposent. Pour les forces voulant s’y atteler, il n’y a pas de raccourci : cela passe par l’implication citoyenne, par des cadres favorisant l’auto-organisation en politique comme elle émerge sur la question sociale. Impulser, par exemple, un mouvement politique donnant envie à tous les milliers d’animateurs apparus dans les grèves d’en faire leur, et dans les mêmes formes d’organisation, me paraît autrement plus porteur d’espoir que d’additionner les étiquettes de partis toujours très éloignés dans leur rapport au système. Enfin, et surtout, la période réclame de se ressaisir de la bataille globale contre le capitalisme. La gauche doit s’identifier autour d’une stratégie, celle de la révolution citoyenne, d’un programme gouvernemental, comme FI l’a bien réussi à la présidentielle de 2017, mais ne peut faire l’économie de s’identifier à un projet radicalement alternatif au capitalisme qui porte au même niveau les exigences environnementales et sociales. L’écosocialisme pourrait être celui-là.
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