Les chiffres font mal. En 2014, 60% des français avaient participé aux élections municipales. Cette année, 60% d’entre eux se sont abstenus. C’est la leçon de ce second tour des municipales : l’abstention a été massive

Le premier responsable de cette abstention, c’est le gouvernement. Je trouve qu’on édulcore bien trop sa responsabilité. Car en décidant de maintenir le 1er tour à deux jours d’un confinement qui inévitablement allait reporter le second, il a largement faussé ce scrutin. Beaucoup d’électeurs ne sont pas allés voter le 15 mars, et on les comprend, vu le risque épidémique.
Mais surtout, l’écart de trois mois entre les deux tours n’a pas permis à ceux qui avaient ainsi décroché de l’élection de s’intéresser à cette élection.

Et puis, comment aller chercher les électeurs qui n’avaient déjà que peu voté, sans campagne politique digne de ce nom ? Comment toucher les consciences, comment attirer les gens, dans un contexte épidémique ou la distanciation sociale est devenue un mot d’ordre fondamental ?

Mais on ne peut en rester à cette explication. Ce serait passer à côté d’une tendance de fond qui désormais touche aussi une des deux élections, avec la Présidentielle, ayant jusqu’alors résisté à la désaffection des français. En personnalisant à outrance la vie politique, qui ressemble davantage à une monarchie élective qu’à une réelle démocratie, la 5ème République ossifie la démocratie à tous les étages. Il faut le dire : ce régime est devenu un régime censitaire.

Censitaire parce que l’abstention touche encore plus fortement les catégories populaires (67,5 d’abstention en Seine Saint-Denis avec des pointes à 80 % dans certains quartiers, 70 % d’abstention chez les ouvriers) et les jeunes (72 % d’abstention chez les 18/34 ans). Censitaire parce que comme au 19ème siècle, c’est du coup un électorat « bourgeois », au sens très large du terme, celui qui vote davantage, qui au fond impose au pays sa représentation politique.

Sur un tel océan d’abstention populaire, il est impossible de parler de vague quelconque. A moins de considérer comme normal et légitime d’être élu par 18 % des inscrits dans les villes les plus peuplées. Il est vrai que les résultats de ces villes font la ligne éditoriale des médias. Cet autre point est important et fausse un peu plus la perception des résultats. Dans les 1064 villes de plus de 9000 habitant-e-s on compte en effet 519 maires LR, 362 PS, 24 EELV, 18 LREM… Ce qui, on en conviendra, aplani encore plus la « vague verte ».

Au fond, à bien regarder, c’est avant tout la dislocation de l’électorat Macroniste de 2017, et sa répartition vers d’autres forces, qui explique les résultats des uns et des autres : tantôt vers la droite, ce qui explique en partie le bon résultat de Edouard Philippe au Havre, tantôt vers le PS et EELV, comme une sorte de retour au bercail d’un électoral social libéral devenu pour une part écolo libéral.

Rappeler ces faits, n’empêche pas de reconnaître des victoires emblématiques de plusieurs listes menées par un-e écologiste, et se féliciter de l’apport souvent décisif de LFI dans plusieurs de ces coalitions comme à Marseille. Que la question environnementale pèse toujours plus dans les élections est positif vu l’urgence de la situation.

Mais, comme je viens de le montrer, Il serait erroné de tirer un enseignement définitif de la représentation politique nationale à partir de la photographie de dimanche. A moins que la présidentielle, à son tour, ne soit touchée à son tour par cette grève civique, l’élection mère devrait avoir une toute autre figure.

Ce qui m’en convainc ? Je ne crois absolument pas qu’un candidat portant l’union PS/EELV soit en capacité d’aller chercher les voix des catégories populaires sans lesquelles il n’y aura ni possibilité d’accéder au 2ème tour, ni a fortiori de remporter l’élection. Je parle d’alliance PS/EELV car manifestement c’est le scénario retenu par ces deux mouvements forts, pensent-ils de la démonstration des municipales. Inédit dans la 5ème République, le secrétaire national du PS, Olivier Faure, a déjà admis que son parti pourrait prendre pour candidat quelqu’un n’en étant pas issu. Il y a donc donc tout à parier qu’on vivra la situation inversée de 2017 qui a vu EELV se rallier à la candidature Hamon. On connaît le résultat.

Pourquoi une telle candidature ne serait-elle pas en capacité de rallier les catégories populaires ? Parce qu’au fond, même si elle critiquait le modèle productiviste et consumériste, elle ne se donnerait pas (ne voudrait pas ?) se donner les moyens d’attaquer le problème à la racine, celui d’une rupture claire et sans ambiguïté ni mollesse avec le capitalisme financiarisé.

Côté PS, rien ne nous convainc d’un réel aggiornamento avec les années Hollande. Côté EELV, le cri du coeur de leur  candidat possible, Yannick Jadot, le soir des municipales, en substance « rien avec Melenchon », résume finalement le problème. Car derrière « Mélenchon » c’est le programme anti libéral « l’avenir en commun » qui est rejeté, autrement dit un programme de rupture. Mais est-ce vraiment étonnant, de la part du député européen qui explique qu’il n’est pas un opposant au gouvernement macroniste, ou qui signe des tribunes avec les dirigeants des multinationales en faveur du green washing ?

Nos amis de la gauche d’EELV nous disent que Jadot n’incarne pas la ligne politique d’EELV. Peut-être, mais on n’entend guère de réaction à la hauteur des sorties médiatiques de Jadot de la part des dirigeants d’EELV. Et puis, en grattant un peu, on s’aperçoit que la position de dirigeants comme David Cormand, autrement plus représentatif de la centralité d’EELV me semble-t-il, porte au fond des divergences tout aussi fondamentales. Lundi dernier, débattant avec plusieurs responsables politiques, dont moi, sur RFI que dit-il, sachant à quel point cela fait divergence avec nous ? Que l’objectif d’EELV est l’Europe des régions, à l’inverse du repli « localiste « (sic) que représentent des politiques à l’échelle des Etat-nations.

C’est une différence profonde qui renvoie tout changement, toute politique protectionniste par exemple, toute politique opposée au libre-échange, à l’échelle européenne. C’est au fond la même logique qui, ce mercredi 1er juillet, en plein débat sur le Projet de Loi de Finances Rectificatives (PLFR), a poussé le rapporteur général de LREM, Mr Saint Martin, en réponse à des amendements LFI sur la taxation des Gafa, inspirés par ATTAC, à me repondre que la France ne peut rien faire seul et qu’effectivement rien ne se fera sans convaincre nos partenaires européen, voir les Etats-Unis au niveau de l’OCDE, de taxer les GAFA.

A la différence de M. St-Martin, je ne soupçonne pas David Cormand de refuser de s’en prendre à la finance ou aux Gafa. Mais faute d’assumer une rupture à l’échelle d’un pays comme la France, par peur d’apparaitre nationaliste sans doute, le résultat sera le même. Au fond, tout montre que si nous acceptions d’intégrer une telle union de la gauche, ce serait au prix du rabougrissement du programme que nous estimons nécessaire non seulement pour espérer l’emporter, mais surtout pour avoir la moindre chance, ensuite, de rompre avec la camisole de force de  la finance.

Ce n’est pas seulement une question de lignes de ces forces politique mais de nature des classes qu’elles représentent en priorité. Si je devais résumer : une gauche poussant jusqu’au bout la logique de rupture écologique et social avec le système que condense le slogan « fin du mois, fin du monde, même système, même combat » ne pourra être majoritaire dans notre pays si elle n’est pas capable de ramener aux urnes les catégories populaires dont l’intérêt premier est l’égalité sociale. C’est donc un défi qui nous est posé. Mais pour candidat d’une union de la gauche PS/EELV ce sera une certitude : il ne sera pas en capacité de rassembler suffisamment le peuple en laissant trop de côté la question sociale pour les raisons que l’on vient d’analyser.

Dans les élections intermédiaires, cela peut passer et suffire pour avoir une majorité. Ce ne sera pas le cas à l’élection Présidentielle. L’élection présidentielle de 2017 a d’ailleurs montré qu’un candidat portant un programme et une stratégie de rupture (je pourrais dire révolutionnaire) est plus à même de rassembler les classes populaires et une partie des classes moyennes urbaines pour espérer l’emporter. La situation sociale volcanique dans lequel se retrouve notre pays depuis deux années de manifestation quasi continues, me persuade que de ce côté-là, la situation n’a pas changé, au contraire…

A bien des égards, la campagne présidentielle a commencé. Je n’en tire pas conclusion que seules les élections qui nous en séparent vont désormais compter.

Car la tempête sociale approche. Notre pays s’apprête à essuyer une crise économique sans précédent. Et le gouvernement a déjà préparé sa solution : ce sera aux français de payer. Et particulièrement aux plus pauvres. Les plus riches, eux, continuent d’être préservés par Emmanuel Macron.

Nous avons du travail ! Pour que des mobilisations sociales viennent opposer une résistance à un exécutif qui prépare à un retour vers le passé en remettant sa réforme de retraite sur la table. Sur le terrain des mobilisations comme des urnes, qui ne peuvent s’opposer dans une perspective de transformation radicale, il est urgent de proposer une alternative au retour d’une union de la gauche dont le centre de gravité serait une ligne « socialécolo- libérale ».

C’est notre proposition de fédération populaire. Un cadre d’unité social et électoral capable de réunir des forces politiques mais aussi, syndicales et associatives, et plus largement citoyennes, pour une stratégie politique de rupture et de conquête du pouvoir. Ce cadre pourrait agir dans les mobilisations et se présenter à toutes les élections qui nous séparent des présidentielles et législatives tout comme dans les mobilisations sociales.

Nous sommes en plein dans l’œil du cyclone. Je le dis, car la vie politique ne se résume pas à une analyse froide de résultats éléctoraux. Nous ne gagnerons pas sans la mobilisation populaire, et nous n’exercerons pas le pouvoir correctement si nous ne sommes pas un débouché politique concret à la résistance du peuple. C’est au fond, aussi, l’avertissement que je formule sur ces municipales : celui qui exerce le pouvoir sans l’appui du peuple est condamné à gouverner contre lui.