Contribution pour le jour d’après

Confinement ou pas, les mauvaises habitudes se poursuivent à l’assemblée nationale. Comme plusieurs autres lois importantes, c’est en pleine nuit, à 3h30, qu’a été adopté ce samedi le nouveau Projet de Loi de Finance Rectificative (PLFR). Il n’était, parait-il, pas question d’ouvrir l’assemblée ce samedi pour permettre un débat normal et obtenir des réponses argumentées, à défaut d’être positives, du gouvernement. Nous avons donc expédié tout cela après quasiment 17 heures de débat non-stop dans l’hémicycle. Sans compter la journée de la veille consacrée au même projet de loi en commission. La question, n’est pas de se plaindre de la cadence, mais des conditions et des aptitudes des uns et des autres à débattre, argumenter, décider à l’arrache en pleine nuit sur un projet de loi connu seulement 48 heures auparavant.

Les député-e-s présent-e-s pour le groupe France Insoumise, soit Sabine Rubin, Daniele Obono et moi-même, ont donc décidé de voter contre ce projet de loi, bien entendu en lien et en accord, avec nos collègues via une liste d’échange numérique. Nous sommes les seuls à avoir fait ce choix avec le groupe communiste. Tous les autres, y compris les députés RN, auront voté pour.

Pourquoi avons-nous voté contre ? Principalement car ce PLFR, qui constitue une des plus grosses contributions financières de l’Etat depuis des lustres, ne comporte aucune trace, aucun indice du fameux « monde d’après » promis par Emmanuel Macron. L’argent mis sur la table n’est pas conforme aux annonces du gouvernement : on ne décompte que 42 milliards d’aide directe et non 110. Cet argent est distribué dans les conditions et avec les critères du « monde d’avant ».

Rien, par exemple, sur le partage des richesses, rien sur la mise à contribution du capital qu’aurait pu, au moins provisoirement, symboliser le rétablissement de l’ISF. Aucune trace, si ce n’est dans les paroles, d’une quelconque nationalisation, d’une orientation stratégique claire laissant penser qu’on essaie, au moins,  d’orienter l’économie vers une planification sanitaire. Pas de primes aux salariés des Ehpad, seulement des promesses. Des primes différenciées pour les fonctionnaires plutôt qu’une revalorisation salariale, alors que la crise révèle toute l’importance de la fonction publique, après des années de gel du point d’indice.

Surtout, il n’y aura aucune contrepartie sociale et environnementale aux 20 milliards d’Euros distribués aux entreprises. Beau parleur, Bruno Lemaire nous aura bien annoncé trois critères (l’indépendance dans certains secteurs dit stratégiques, l’importance technologique, l’emploi) mais de cela il n’y a nulle trace dans le PLFR, et donc dans la loi. Prenant acte de la possibilité pour les entreprises de mettre leurs salariés en chômage partiel, nous avons fait un amendement de bon sens : si une entreprise procède à des licenciements pendant le confinement, alors elle n’aurait pas droit aux aides d’Etat. Cet amendement, comme tant d’autres, a été refusé. Nous n’aurons pas plus décidé le gouvernement à mettre sur la liste des entreprises qui seront bénéficiaires des 20 Milliards €, les usines Luxfer, Famar ou Peters Surgical, pourtant tous fabricants de matériel ou produits sanitaires indispensables à notre souveraineté en la matière!

Après que Bruno Lemaire nous ait dit pendant deux jours qu’ils ne connaissait pas la question, la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher a fini par lâcher, au sujet de Luxfer, que nous étions tranquilles pour l’avenir. Pourquoi ? Car la France s’approvisionne en bonbonnes capables d’emmagasiner de l’oxygène… en Grande-Bretagne et en Turquie !. Bonjour la souveraineté sanitaire promise par le Chef de l’Etat, !

La liste des entreprises qui bénéficieront de ces aides, nous,  parlementaires, n’auront pas eu le droit de la connaitre malgré la demande réitérée de plusieurs groupes. Pas de critère social, ni stratégique donc, pas non plus en matière environnementale : l’Etat va accorder 20 Mds d’Euros à des entreprises sans aucune garantie, aucune engagement réel que cet argent ne contribuera pas à alourdir la dette écologique ! Pourtant un amendement très modéré, proposé par un ensemble de députés tout aussi modérés conduits par Matthieu Orphelin, proposait de verser de façon indifférenciée les aides aux entreprises afin de répondre à l’urgence et ne faire le point qu’au bout d’un an pour vérifier qu’elles avaient bien été vertueuses en matière de bilan carbone, sous peine de pénalité financière. Malgré notre soutien, l’amendement a été balayé à 2h30 du matin, en 5 minutes…

Toute la logique de ce PLFR est d’obéir au cadre monétaire contraignant de l’Union Européenne. Nous avons défendu l’idée d’un rachat des dettes des Etat directement par la BCE, afin de les transformer en dette perpétuelle à intérêt neutre ou négatif. C’est évidemment le seul moyen pour que la dette contractée pour faire face à la crise (le déficit va s’envoler à 9 % du PIB) ne devienne pas un nouveau carcan austéritaire pour les Etats pour des décennies. Sinon, aux mêmes causes les mêmes effets : nous aurions à endurer un autre délabrement de l’Etat, jusqu’à la prochaine crise sanitaire.

La motion de rejet axé sur ce sujet défendu par Jean-Luc Mélenchon vendredi matin a d’ailleurs suscité quelques réactions intéressantes, jusqu’à Eric Woerth (Les Républicains) déclarant qu’on savait bien que la dette actuelle ne serait jamais remboursée. C’est ce que nous disons depuis des années. Mais depuis des années, on sabre les dépenses publiques et les mécanisme de solidarité au nom de « la dette » ! L’idée fait son chemin même à priori jusque chez des gens que l’on n’attendait pas. Le matin même dans les Echos, Alain Minc (oui, oui…) ne disait ainsi pas autre chose. Pourtant le gouvernement, sans même prendre le temps de s’en expliquer, nous a refusé le rapport que nous demandions sur le sujet.

Pour celles et ceux qui ont une quelconque illusion sur la sincérité du Chef de l’Etat qui, ce vendredi, dans le Financial Time, prétendait de nouveau vouloir rompre avec le monde d’avant – celui des délocalisations à tout va, de la loi absolue du marché – le débat et le contenu du PLFR devrait leur ouvrir les yeux.

J’assume donc de dire qu’il n’y a aucun Grenelle possible, aucun changement de cap à espérer de ce gouvernement ou d’un autre élargi, à quelques opportunistes pour faire semblant de concrétiser « l’union nationale ». Les exaltés du monde qui a accéléré et aggravé la crise épidémique ne se transformeront pas en apôtres des Jours heureux. Ils gagnent juste du temps et espèrent, comme en 2008, réparer les murs, alors que cette fois ce sont les fondations même du capitalisme financiarisé qui sont gravement fissurés.

Ce n’est pas l’union nationale, ou toute autre construction politique de ce type, qui permettra d’envisager le monde d’après mais le recours au peuple. Avec la crise, loin d’être finie, du Coronavirus on voit bien que tout le programme sur lequel a été élu Emmanuel Macron est caduque. Je pense donc que le plus rapidement possible, dès que les limites dues à épidémie seront entièrement levées, le peuple doit avoir le droit d’élire une nouvelle majorité sur un nouveau mandat, celui de l’après-crise.

Attendre 2022 est s’avancer vers une sortie de crise qui ne pourra pas être tranquille, vu le séisme supplémentaire que représente le Coronavirus. Espérer s’en sortir par l’union nationale est un leurre. La dissolution et le recours au peuple souverain sera la seule voie raisonnée et démocratique pour espérer un « monde d’après » moins sombre que celui auquel nous sommes confrontés aujourd’hui.