Notre camarade Danièle Obono vient une fois encore de subir des attaques racistes.

Il s’agit cette fois du magazine d’extrême-droite Valeurs Actuelles qui la repeint, dans le prétexte d’une fiction, en esclave. Le texte est un ramassis de préjugés insupportables.

C’est malheureusement un énième épisode d’une escalade subie par Danièle Obono en raison de son combat antiraciste et de sa couleur de peau. Cet acharnement a dépassé les limites du supportable. Pour elle tout d’abord à qui nous adressons, de nouveau, toute notre solidarité.

Danièle a d’ailleurs  reçu le soutien de beaucoup de responsables politiques jusqu’au plus haut sommet de l’État. Tant mieux. Si un arc politique plus large rejoint ainsi notre inquiétude sur la montée du racisme, qu’il rappelle que le racisme est un délit et non une opinion, considérons-le comme positif. Concernant ce magazine en lien avec l’extrême-droite, il est inadmissible qu’il perçoive encore des fonds publics si c’est le cas, après la publication de ce « roman de l’été ».

Mais nous souhaitons que cette nouvelle attaque raciste permette d’aller plus loin. Qu’elle fasse réfléchir sur le contexte dans lequel elle s’inscrit, notamment sur la part prise dans ce climat nauséabond par des médias grands publics, y compris ceux auto-proclamés « progressistes » ou « républicains ». Le but ici n’est pas d’ébrécher par plaisir l’espèce d’union sacrée qui s’est fait jour ce week-end mais d’en profiter pour réfléchir aux responsabilités des uns et des autres.

Il se trouve qu’un article récent de Marianne sur le sujet, signé Hadrien Mathoux, nous donne l’occasion d’engager cette discussion. Que dénonce cet article ? Il entend démontrer la montée du communautarisme, ou de l’indigénisme, dans la gauche française à partir de plusieurs débats organisés aux universités d’été de EELV et LFI. Cet article les dénonce comme étant les signes du repli de l’universalisme à gauche. Ceux-ci seraient les tenants de la « mouvance racialiste » ayant désormais carte blanche, même à LFI.

LE FANTASME D’UNE LIGNE SÉPARATISTE GAGNANTE DANS FRANCE INSOUMISE 

Cet article est en effet sorti quelques jours avant la fiction de Valeurs Actuelles. Nous n’y voyons aucune intention quant à cette concordance des temps évidemment et nous ne confondons pas l’identité politique des deux journaux, mais cela n’en reste pas moins un signal alarmant de cette dérive. D’autant que cet article nous interpelle directement, ainsi que Danièle Obono, en tant que co-organisateurs d’un débat auquel nous avons contribué aux AMFiS de La France Insoumise.

Comme souvent dans ce genre d’articles, l’auteur ne se donne pas la peine du moindre argument de fond ni même de preuves pour étayer la démonstration. Qu’importe donc qu’aucun des invités de ce débat sur « le nouvel antiracisme populaire », l’un de ceux pointés du doigt dans l’article, n’ait revendiqué la « racialisation » de la société mais au contraire en ait dénoncé le danger. Le lecteur n’en saura rien puisqu’évidemment l’auteur n’a même pas cru bon d’assister au débat. Il n’aura donc pas entendu Taha Bouhafs expliquer que « la lutte des classes et la lutte contre le racisme reposent sur une revendication quasi-identique, celle de l’égalité », ou que « Noirs et Arabes ne demandent pas à être traités différemment des autres, ni mieux ni moins bien mais à égalité ». Il n’aura pas non plus écouté le discours de la chercheuse Maboula Soumahoro expliquant que « l’antiracisme, c’est aussi la tentative de revenir à une humanité pleine et entière ; le racisme étant la négation, l’effacement, la simplification à l’extrême » puis, plus tard dans le débat, « parler d’universalisme ou de liberté, égalité, fraternité, tout le monde est d’accord sur cette question. Tout le monde le désire. Le mouvement antiraciste rappelle juste à la République que ces valeurs ne sont pas réellement incarnées (…). C’est une question de moyens, de façon d’atteindre cette égalité. Nier le problème (le racisme) ne le fera pas disparaitre ».

On est donc loin de toute exaltation de différenciation entre les « races » ou de séparatisme, pour reprendre un terme à la mode à l’Elysée. En introduisant ce débat, au nom de LFI, Éric Coquerel rappelait d’ailleurs clairement son attachement aux valeurs universalistes.

Précision qui nous amène à interpeller Natacha Polony, rédactrice en chef de Marianne :  quelles sont donc les positions attribuées à ce dernier qui lui valent, tout comme Danièle Obono, d’être combattues par son magazine comme le revendique un de ses tweets du samedi 29 août ? Ainsi cette réaction de Natacha Polony nous autorise à mettre les pieds dans le plat. Car l’article de Marianne évoqué précédemment n’est que la poursuite d’un terrain partagé avec les identitaires de droite dont le magazine s’est fait le chantre, et que Natacha Polony a pleinement assumé devant les caméras de « 20H Médias », le 12 octobre 2018 : la « droitisation » du journal Marianne serait une stratégie pour booster les ventes, ce pourquoi elle aurait été mise à ce poste. Natacha Polony n’avait pas encore affiché la mine scandalisée dont elle se vêtit aujourd’hui lorsqu’on comparait déjà son journal à Valeurs Actuelles.

L’une des Unes de Marianne, en 2019, sur les « Obsédés de la race » avait en quelque sorte lancé la dynamique. En la découvrant nous pensions trouver à l’intérieur une critique de la montée des thèses et actions racistes. Que non ! Il s’agissait d’une attaque en règle des victimes du racisme qui avaient la mauvaise manie de le dénoncer avec des mots qui ne convenaient pas à la rédaction ; mélangeant tous les courants possibles et imaginables, même ceux qui sont dans des conflits idéologiques affirmés. Au nom d’un universalisme aussi factice que inquisiteur, ce dossier transformait les victimes en coupables. Notons d’ailleurs que ce lundi matin, Jordan Bardella sur LCI, reprenait à son compte la même expression « obsédés de la race » pour qualifier Danièle Obono, et expliquer que l’affaire Valeurs Actuelles mettait en conflit deux formes de racisme, celui du journal et celui de notre députée !

Un autre épisode date de juillet 2020. Une fois de plus, Danièle Obono avait dû essuyer des insultes racistes venant de la fachosphère, mais aussi de comptes Twitter bien connus pour leur macronisme. Elles avaient alors poussé notre camarade à déposer plainte sur une idée du MRAP. Danièle n’avait alors pas bénéficié du même soutien malgré la violence des insultes. Tout était parti d’un tweet de la députée LFI du 19ème arrondissement de Paris, décrivant le nouveau Premier ministre d’« homme blanc de droite bien techno et cumulard ».

 

LA DÉNONCIATION D’UN PROFIL-TYPE EN POLITIQUE TRANSFORMÉE EN ATTAQUE RACISTE

Dans cette énumération, c’est le mot « Blanc » qui avait provoqué l’ire des racistes de tous bords. Dans leurs attaques, ils avaient évidemment oublié que deux ans auparavant, Macron reprenait les mêmes caractéristiques, « homme blanc » compris, pour critiquer Jean-Louis Borloo et son « Plan Banlieue ». Ils ont aussi volontairement omis les autres caractéristiques citées dans le tweet de Danièle Obono. Car elle mettait en exergue une accumulation des critères déterminés comme des avantages dans notre société ; l’on pourrait parler d’une intersectionnalité des dominants. L’intersectionnalité est un outil sociologique, et non une fin en soi, en ce qu’elle décrit, pour mieux les combattre, comment différents types de discriminations peuvent s’additionner en un individu dans le système capitaliste. Jean Castex coche à l’inverse plusieurs types d’avantages attribués comme tels par le système : homme / blanc / technocrate / cumulard en ajoutant une caractérisation politique « de droite ».

 

Les réactions exacerbées au tweet de Danièle avaient montré qu’elle avait touché juste. Dans la France du 21ème siècle, sous Macron, être Blanc correspond toujours à une norme dominante. Seule, elle ne suffit évidemment pas pour vous situer dans la classe dominante. Mais être en plus un homme, de droite, technocrate et même cumulard vous en rapproche sacrément.

On peut être d’accord ou pas avec cette analyse mais une fois encore ce sont les réactions qu’ici nous voulons pointer. Elles ont souvent été réduites, on l’a dit, à des injures à caractère racial, mais pas chez Marianne qui a répliqué autrement. C’est un intellectuel se revendiquant de gauche qui s’en est chargé sous forme d’une lettre publique adressée à Danièle Obono sans d’ailleurs, au passage, le moindre élan de solidarité contre les attaques racistes qu’elle subissait ailleurs. Pour contrecarrer la logique du tweet de la députée, il en arrivait à des énormités, comme expliquer que dans le système d’apartheid sud-africain -peut-être l’un des États le plus structurellement raciste avec l’Allemagne nazie-, on ne pouvait parler de la domination de Blancs sur les Noirs, mais de certains Blancs sur certains Noirs.  Et ce prétextant que certains Blancs, comme Johnny Clegg, s’était opposés à ce régime raciste.

 Voilà comment, au nom d’un universalisme théorique, on en vient à du révisionnisme historique niant le caractère non seulement systémique mais aussi législatif d’un État basé sur la supériorité en naissance et en droit de TOUS les Blancs sur TOUS les Noirs au nom d’une suprématie raciale.

L’INVERSION DES RÔLES ET LA FALSIFICATION DE L’HISTOIRE 

Nous en venons ainsi au problème de fond : la manipulation de pensée qui nie aux victimes du racisme le droit de le décrire sous prétexte qu’ils dénoncent justement l’absence d’universalisme dans la réalité et dans les faits. Les victimes du racisme sont donc sommées de se taire sous peine d’être traitées, au choix d’indigénistes, de communautaristes, de racialistes, voire de racistes ! Voilà ce qui leur est opposé : puisque la science ne reconnaît plus les races -ce qui est vrai et évidemment essentiel, pourquoi persister à vouloir dénoncer un système de domination reposant sur une hiérarchisation établie sur des couleurs de peau ? Au risque de brouiller le seul clivage qui vaille aux yeux de ces « universalistes » : celui des exploiteurs contre les exploités. Bref, cachez cette division que je ne saurais voir, qui peut introduire des facteurs de division inutiles dans le peuple ! .

Ces derniers consentent bien à l’existence d’un racisme, mais il doit toujours être globalisé, désincarné au profit d’une réaction morale qui au fond en ignore ses ressorts spécifiques. Rien qui ne doive perturber la « seule opposition acceptable » : la question sociale. C’était là la finalité de cette tribune parue dans Marianne. Le refus qui y était fait à des personnes racisées de nommer, par la couleur, l’ensemble de ceux qui tirent avantage de ce système comme eux en tirent désavantage. Comme si au nom de la construction d’une société sans classes, on reprochait aujourd’hui aux exploités de nommer et combattre, dans les actes, non seulement le capitalisme, mais aussi la classe dominante et exploitante qui en tire bénéfice.

C’est exactement le même processus avec la question du racisme. Pourquoi ne pas se contenter de le combattre de façon générique, pourquoi y ajouter la référence à des couleurs de peau ? Parce que le racisme n’est pas la xénophobie. La xénophobie se construit sur la peur de l’Autre et est à considérer de manière indistincte, dans l’Histoire. Le racisme est une construction idéologique qui repose sur une hiérarchie supposée entre les « races ». Le racisme est en cela un concept spécifique élaboré à une époque spécifique, permettant aux possédants de justifier leurs nouvelles richesses liées à la Traite Négrière. Cette hiérarchisation des peuples selon la couleur de peau, voire la religion, a servi ensuite aux mêmes à justifier la colonisation de régions entières du monde arabe et asiatique. Autrement dit, ce sont bien les classes dominantes blanches d’Europe puis des Etats-Unis qui ont créé et systématisé le racisme.

POUR UNE APPLICATION CONCRÈTE ET RÉEL D’UN PRINCIPE UNIVERSALISTE

Nier cet état de fait historique qui a forgé des lois, des règles, des mécanismes et des mentalités des siècles durant est l’assurance de continuer à le reproduire. Dans son pitoyable communiqué d’excuses à Danièle Obono, Valeurs Actuelles revendique d’avoir ainsi réécrit l’histoire de l’esclavage pour montrer la responsabilité des Noirs dans celle-ci. C’est donc toujours le même objectif : rendre les victimes responsables. Voilà donc le fond de l’affaire. Ce qui nous sidère, c’est à quel point des concepts et déclarations racistes qui avaient droit de cité dans des réunions d’ultra-droite organisées dans des arrière-salles clandestines il y a trente ans ont aujourd’hui droit de cité à des heures de grande écoute sur des médias de masse, au nom d’une liberté d’expression aux bords floues. Eric Zemmour a ainsi pu discourir à la Convention de la Droite sur « les minorités, (« femmes, jeunes, homosexuels, basanés, juifs, protestants, athées ») qui ont été transformés en « idiots utiles d’une guerre d’extermination de l’homme blanc », sans s’être vu remis en question son rôle de chroniqueur sur CNews… Ce fut même un succès pour son influence idéologique puisque un an après, Michel Onfray, intellectuel venu de la gauche, dans  sa plateforme mal-nommée « Front Populaire », lâchait « Nous sommes en régime communautariste et racialiste qui a choisi pour ennemi le mâle blanc hétérosexuel : un apartheid inversé ».

C’est la même logique qui permet de parler de « racisme anti-blanc », niant ainsi le caractère systémique du racisme hérité d’une époque historique précise. Ce concept est révisionniste, raciste et inepte.  Des actes considérés comme racistes, très marginaux par ailleurs, émanant de populations racisées qui désignent les « Blancs » ne crée à aucun moment une discrimination systémique sur cette population. 

Les personnes blanches en France, ou ailleurs dans le monde, ne subissent pas de discrimination au travail, dans l’accès au logement ou face aux institutions de l’Etat du fait de leur couleur de peau. On ne peut non plus réduire les effets du racisme à la domination économique entre exploiteurs et exploités, même si elles sont souvent associées. La question n’est pas ici de culpabiliser quiconque, ni évidemment d’exclure quiconque du combat antiraciste, ni du camp des opprimés, ni de nier évidemment la conflictualité de classes ; mais bien de nous amener toujours à réfléchir collectivement à la reproduction, même inconsciente, de ce rapport de domination.

Reconnaître ces différentes formes de domination est justement la condition même de l’unité du peuple afin qu’il se saisisse et combatte ensemble toutes les oppressions qu’il subit, y compris quand elles sont spécifiques à une de ses parties.

Voilà qui constituerait une application concrète et réel d’un principe universaliste dans lequel nous nous reconnaissons.

Éric COQUEREL, député LFI de Seine-Saint-Denis

Manon MONMIREL, députée suppléante de Seine-Saint-Denis

Note : https://www.marianne.net/debattons/billets/chronique-intempestive-le-monde-en-noir-et-blanc-lettre-ouverte-daniele-obono

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