Cette note constitue la réactualisation d’un post publié ce week-end avant que le chef de l’Etat ne prenne la parole.
Le chef de l’Etat a donc parlé. Il ne nous a pas rassurés. S’il y a un pilote dans l’avion, ce dont on en vient à douter, il parait naviguer à vue. On a toutefois compris le cap qu’il s’est donné : relancer l’activité économique du pays dans un monde où la prochaine guerre économique s’organise déjà. La date du 11 mai choisie pour une sortie progressive du confinement répond à cette seule fin.
Beaucoup de choses seront encore interdites (les réunions, les rassemblements, les bars, les restaurants, les expositions,…) mais pas les espaces de travail. D’où la réouverture des écoles jusqu’aux collèges. Mardi matin, le ministre Blanquer a clairement expliqué qu’il ne s’agit pas d’une décision éducative puisque l’école ne sera pas obligatoire. Au fond, cette décision est juste faite pour permettre aux parents d’aller travailler en faisant garder leurs enfants.
La date du 11 mai ne répond donc pas à un objectif sanitaire.
On pensait par exemple, comme cela se fait en Allemagne, que la France attendrait de pouvoir tester massivement la population pour lever le confinement. Il n’en est rien puisque le chef de l’Etat a réaffirmé que seuls seront testés les personnes à symptômes, ce qui est déjà en théorie le cas aujourd’hui. On ne sait pas non plus combien des masques importés seront disponibles (Le Drian parlait la semaine dernière de fin juin pour les 2 milliards de masques commandés à la Chine). On assure que le retour au travail se fera dans des conditions sécurisées (et l’on suppose donc que les travailleurs se déplaceront en transports en commun de nouveau bondés…), sans trop savoir comment on protégera efficacement les travailleurs.
Quant aux personnes plus fragiles, elles seront appelées à rester chez elles. Tout indique une cote mal taillée, sans stratégie claire, entre l’auto-immunisation de la population, la protection tant bien que mal contre le virus, et l’espoir d’un médicament ou d’un vaccin.
Il n’y a qu’un objectif clair : relancer la machine économique. Certes, Emmanuel Macron n’a pas repris à son compte hier la remarque du Medef (« après le confinement ne viendra pas le temps des vacances mais celui du boulot », avait osé l’organisation patronale), qu’une de ses ministres avait confirmée. Il a préféré rendre hommage à tous les travailleurs des 1ère et 2ème lignes, mais il s’agit bien du même objectif prioritaire, l’économie.
Le pari est très risqué. Sauf à espérer que le virus ne soit pas saisonnier, on ne voit comment on éviterait une 2ème vague dans ces conditions. D’autant que, contrairement à ce qu’affirme le chef de l’Etat, nous ne sommes pas dans une économie de guerre.
Il a assuré que des réquisitions avaient eu lieu, a évoqué l’idée de planification : rien de tout cela n’est fait. Oui des entreprises ont décidé d’elles-mêmes d’orienter leur production sur des masques ou des respirateurs, mais cela semble davantage venir d’initiatives privées que d’une orientation planifiée de l’Etat. D’ailleurs, les nationalisations se font encore attendre même quand elles sont évidentes.
Le Chef de l’Etat n’a pas non plus profité de ce moment pour donner un tant soi peu de crédit à sa « réinvention », pour reprendre ses mots : pas d’annonce du retrait pur et simple de son projet de loi retraite et de la réforme des allocations chômage qui étaient espérée. Ce qui laisse toujours craindre le pire pour « le monde d’après ».
Une fois encore, le Chef de l’Etat a repris notre lexique, notre vocabulaire, nos références, à l’image des Jours Heureux, programme politique qui avait conduit à la Sécurité Sociale ou aux congés payés. Mais qui peut avoir confiance dans ceux qui ont mené une contre-révolution sociale dans le pays, en détruisant le Code du Travail et les processus de solidarités ?
Car si 2008 était la crise d’un symptôme du capitalisme mondialisé et financiarisé, celle-ci est en effet structurelle et bien plus profonde.
Cette crise est sans doute, pour commencer, la première catastrophe environnementale qui frappe toute la planète.
Non pas que la dégradation accélérée de l’environnement n’ait pas déjà produit ses effets. On ne peut voir s’avancer chaque année le jour du dépassement et craindre la 6ème extinction des espèces (1/2 million à 1 million d’espèces condamnés d’ici quelques décennies selon l’ONU), sans qu’il y ait déjà des conséquences. La sécheresse, les inondations, le recul des glaces, la pollution provoquent d’ores et déjà des dégâts pour des millions d’êtres humains. Sauf qu’il s’agit-là d’une situation dans laquelle l’humanité s’enferre progressivement, de façon différenciée selon les régions du globe, sans au final que le système ne soit paralysé.
La pandémie actuelle, parce que chaotique et planétaire, est la première à l’assommer de cette manière. Elle constitue d’ores et déjà une borne chronologique qui fera date dans l’anthropocène. Car le Coronavirus, transmis de l’animal à l’homme, a évidemment un lien direct avec le productivisme, avec une exploitation sans borne du vivant au nom du profit et d’intérêts particuliers prédateurs. Le Coronavirus est directement lié à la mise en danger de la biodiversité et de l’ensemble des espèces sauvages.
Rajoutons que la pollution atmosphérique parait constituer un facteur aggravant de l’épidémie. Il suffit d’observer les régions du globe dans lesquelles elle se propage le plus rapidement, pour en voir le lien direct.
L’origine du virus a donc tout à voir avec le productivisme sans frein ni loi, sa propagation foudroyante doit, elle, tout à la mondialisation libérale.
Bien sûr le Coronavirus est extrêmement contagieux, mais sans le libre-échange, le grand déménagement du monde, jamais il n’aurait fait aussi vite le tour de la planète, empruntant d’abord les routes commerciales intenses entre la Chine et l’Italie du nord. Avec pour conséquence de laisser les Etats dans une grande difficulté pour anticiper l’arrivée de l’épidémie.
Une difficulté d’autant plus grande que si la crise épidémique arrive vite, à la vitesse des avions longs courriers, elle a dégénéré en une crise sanitaire là encore d’origine systémique. À force d’avoir sacrifié depuis un vingtaine d’année les services publics sur l’autel de l’austérité et du tout marché, les systèmes de santé public en très grande difficulté pour prendre en charge un choc épidémique de cette ampleur. C’est l’élément multiplicateur de la crise.
Pour prendre le cas de la France, c’est parce que les lits médicalisés sont insuffisants, le nombre de soignants est trop réduit, leur matériel de protection est insuffisant (masques, blouses, gants, gel hydraulique), les tests de dépistage sont trop rares, que la crise prend cette ampleur. Voilà la raison d’une stratégie de confinement global, due davantage à la pénurie qu’à une raison sanitaire. Voilà l’effet, dénoncé par les soignants et leur organisations syndicales depuis deux ans.
Deux ans d’appels au secours, de manifestations dans lesquelles j’ai vu ceux qui sont aujourd’hui nos « héros » se heurter à un gouvernement emmuré dans son idéologie et son déni.
Des années d’une politique du flux dans les hôpitaux qui, au nom de la rentabilité, a vu les moyens financiers accordés à la santé publique décroître, et avec eux les lits et le nombre de personnel. S’ajoute au tableau le manque de matériel causé par la délocalisation progressive des équipements sanitaires indispensables à la santé publique.
Et voilà la plupart des pays, dont la France, obligés de subir le manque de masques et d’autres matériels essentiels à force d’avoir fermé ses moyens de production en la matière, minant notre souveraineté sanitaire. Une souveraineté qui se révèle aujourd’hui vitale puisque la France est contrainte de rechercher sur le marché international, lui-même soumis aux pressions commerciales venues de tous les pays, de quoi équiper au moins ses soignants, ce qu’elle ne parvient même pas à faire.
On connait les cas désormais malheureusement emblématique de l’entreprise bretonne Honeywell de Plantel, capable jusqu’en 2018 de produire quelques 5000 masques à l’heure et dont l’unité de production a été délocalisée, d’abord en Chine puis en Tunisie -les actionnaires américains poussant la logique jusqu’à tronçonner les machines afin qu’elles ne servent pas une éventuelle concurrence !
Autre exemple malheureux, la fermeture de Luxfer, seule à produire des bonbonnes pour oxygène pour respirateur en Europe, dont, aujourd’hui encore les salariés demandent vainement la réouverture en urgence. Ou encore Peters Surgical, entreprise produisant à Bobigny des pompes Monin indispensables pour la réanimation et la respiration artificielle, dont l’activité devrait s’arrêter en juin prochain au profit d’une délocalisation en Inde. En octobre dernier, j’interrogeais Bruno Lemaire sur la perte annoncée de cette production. Pas de réponse. Aujourd’hui ses salariés, pourtant licenciés en théorie en juin, ont accru leur cadence afin de produire quatre fois de plus de ces pompes que d’habitude. Que ce serait-il passé si l’épidémie était survenue en juillet prochain ? Nous aurions manqué de ces pompes comme nous manquons aujourd’hui de masques. Pourtant cette entreprise fait évidemment des bénéfices, comme Honeywel continuait à en réaliser, en produisant des marques en France, mais ils étaient jugés insuffisants pour ses actionnaires.
Ce pourrait être une fable triste sur les dégâts du capitalisme mondialisé si la situation n’était pas si dramatique. Elle révèle cependant l’inanité d’un système basé sur le profit avant tout et non pas les besoins d’une population y compris en matière de santé.
Nous ne sommes pas en guerre. Nous avons à faire à un virus né du dérèglement écologique causé par l’homme, accélérée par la mondialisation et dont les effets sont aggravés par la logique du tout marché et du capitalisme financiarisé.
Pour le monde d’après, pour l’indispensable transformation du monde que nous subissions, la sagesse recommanderait à un pouvoir qui, dit-on, a déjà peur de ses réactions, que le peuple puisse s’exprimer démocratiquement, souverainement et le plus rapidement possible, afin que soient tirées les leçons de la crise.
Pour notre part nous y sommes prêts.
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