Cette semaine, j’ai encore entendu un de ces experts que le monde audio-visuel aime à dénicher en temps de crise proclamer que « cette crise n’a rien à voir avec la crise de 2008, ce n’est pas une crise du capitalisme mais une crise due à une épidémie ».

Je crois tout l’inverse. Je pense même que davantage que 2008, crise d’un symptôme du capitalisme mondialisé et financiarisé, celle-ci est structurelle et bien plus profonde.

Elle est sans doute, pour commencer, la première catastrophe environnementale qui frappe toute la planète. Non pas que la dégradation accélérée de l’environnement n’ait pas déjà produit ses effets. On ne peut voir s’avancer chaque année le jour du dépassement et craindre la 6ème extinction des espèces (1/2 million à 1 million d’espèces condamnés d’ici quelques décennies selon l’ONU) sans qu’il y ait déjà des conséquences. La sécheresse, les inondations, le recul des glaces, la pollution provoquent d’ores et déjà des dégâts pour des millions d’êtres humains. Sauf qu’il s’agit là d’une situation dans laquelle l’humanité s’enferre progressivement, de façon différenciée selon les régions du globe, sans au final que le système ne soit d’un coup paralysé. La pandémie actuelle, parce que chaotique et planétaire, est la première à l’assommer de cette manière. Elle constitue d’ores et déjà une borne chronologique qui fera date dans l’anthropocène. Car le Coronavirus, transmis de l’animal vers l’homme, a évidemment un lien direct avec le productivisme, une exploitation sans borne du vivant au nom du profit et d’intérêts particuliers prédateurs. Le Coronavirus est directement lié à la mise en danger de la biodiversité et de l’ensemble des espèces sauvages. Rajoutons que la pollution atmosphérique parait constituer un facteur aggravant de l’épidémie. Il suffit d’observer les  régions du globe dans lesquelles elle se propage le plus rapidement, pour en voir le lien direct.

L’origine du virus a donc tout à voir avec le productivisme sans frein ni loi, sa propagation foudroyante doit, elle, tout à la mondialisation libérale. Bien sûr le Coronavirus est extrêmement contagieux, mais sans le libre échange, le grand déménagement du monde, jamais il n’aurait fait aussi vite le tour de la planète, empruntant d’abord les routes commerciales intenses entre la Chine et l’Italie du nord. Avec pour conséquence de laisser les Etats dans une grande difficulté pour anticiper l’arrivée de l’épidémie.

Une difficulté d’autant plus grande que si la crise épidémique arrive vite, à la vitesse des avions longs courriers, elle a dégénéré en une crise sanitaire là encore d’origine systémique. A force d’avoir sacrifié depuis un vingtaine d’année les services publics sur l’autel de l’austérité et du tout marché, les systèmes de santé public en très grande difficulté pour prendre en charge un choc épidémique de cette ampleur. C’est l’élément multiplicateur de la crise. Pour prendre le cas de la France, c’est parce que les lits médicalisés sont insuffisants, le nombre de soignants trop réduit, leur matériel de protection insuffisant ( masques, blouses, gants, gel hydraulique), les tests trop rares, que la crise prend cette ampleur. Voilà la raison d’une stratégie de confinement global, due davantage à la pénurie qu’à une raison sanitaire. Voilà l’effet, dénoncé par les soignants et leur organisations syndicales depuis deux ans. Deux ans d’appels au secours, de manifestations dans lesquels j’ai vu ceux qui sont aujourd’hui nos « héros » se heurter à un gouvernement emmuré dans son idéologie et son déni. Des années d’une politique du flux dans les hôpitaux qui, au nom de la rentabilité, a vu les moyens financiers accordés à la santé publique décroître, et avec eux les lits et le nombre de personnel. S’ajoute au tableau le manque de matériel causé par la délocalisation progressive des équipements sanitaires indispensables à la santé publique. Et voilà la plupart des pays, dont la France, obligés de subir le manque de masques et d’autres matériels essentiels à force d’avoir fermé ses moyens de production en la matière, minant notre souveraineté sanitaire. Une souveraineté qui se révèle aujourd’hui vitale puisque la France est contrainte de rechercher sur le marché international, lui-même soumis aux pressions commerciales venues de tous les pays, de quoi équiper au moins ses soignants, ce qu’elle ne parvient même pas à faire.

On connait les cas désormais malheureusement emblématique de l’entreprise bretonne Honeywell de Plantel, capable jusqu’en 2018 de produire quelques 5000 masques à l’heure et dont l’unité de production a été délocalisée d’abord en Chine puis au final en Tunisie, les actionnaires américains poussant la logique jusqu’à tronçonner les machines afin qu’elles ne servent pas une éventuelle concurrence ! Autre exemple malheureux, la fermeture de Luxfer, seule à produire des bonbonnes pour oxygène pour respirateur en Europe, dont, aujourd’hui encore les salariés demandent vainement la réouverture en urgence. Ou encore Peters Surgical, entreprise produisant à Bobigny des pompes Monin indispensables pour la réanimation et la respiration artificielle, dont l’activité devrait s’arrêter en juin prochain au profit d’une délocalisation en Inde. En octobre dernier, j’interrogeais Bruno Lemaire sur la perte annoncée de cette production. Pas de réponse. Aujourd’hui ses salariés, pourtant licenciés en théorie en juin, ont accru leur cadence afin de produire quatre fois de plus de ces pompes que d’habitude. Que ce serait-il passé si l’épidémie était survenue en juillet prochain ? Nous aurions manqué de ces pompes comme nous manquons aujourd’hui de masques. Pourtant cette entreprise fait évidemment des bénéfices, comme Honeywel continuait à en réaliser, en produisant des marques en France, mais ils étaient jugés insuffisants pour ses actionnaires.

 

Ce pourrait être une fable triste sur les dégâts du capitalisme mondialisé si la situation n’était pas si dramatique. Elle révèle cependant l’inanité d’un système basé sur le profit avant tout et non pas les besoins d’une population y compris en matière de santé.

Ce soir le chef de l’Etat va parler. Il promet un discours « Churchilien » demandant du sang et des larmes à une population qui a déjà beaucoup donné. Nous ne sommes pas en guerre. Nous avons à faire à un virus né du dérèglement écologique causé par l’homme, accélérée par la mondialisation et dont les effets sont aggravés par la logique du tout marché et du capitalisme financiarisé. Je ne crois nullement que les partisans de ce dernier soient à même de tirer les leçons d’une crise qu’ils ont contribué à aggraver. Il faudra pour cela une alternative forte portée par ceux qui la proposent depuis des années. La France Insoumise et son programme L’avenir en commun, en sont. Alors, au delà de critiques du système qui seront aussi vite oubliées la crise passée, qu’attendre du chef de l’Etat ? Qu’il prenne au moins des mesures concrètes à même de limiter les dégâts actuels de cette pandémie qui pourrait revenir par vagues jusqu’à la découverte d’un vaccin. Cela passe dès maintenant par une planification sanitaire, mettant à son service  la réquisition et la nationalisation de moyens de production nécessaires, afin de fabriquer masques, test et matériels seuls à même de sortir du déconfinement. Cela devrait l’amener à stopper toute activité économique non indispensable, comme l’ont fait les Italiens voici 20 jours,  afin de donner la priorité en matière de protections aux secteurs essentiels. Toutes décisions que le gouvernemental empêtré dans ses choix idéologiques du monde d’avant, n’a pas été capable de prendre pour le moment, ce qui prolonge d’autant les dégâts de cette épidémie et le confinement subit. Il est aussi en son pouvoir d’annoncer le retrait définitif de projets de loi dévastateurs d’un point de vue social comme la retraite par points ou la réforme des allocations chômages. Si une réunion de l’assemblée doit se tenir rapidement, ce devrait être pour voter un plan  d’urgence pour l’hôpital et la santé publique dont il n’est pas besoin d’aller chercher loin le contenu, tous les collectifs et syndicats de soignants l’ayant rédigé depuis plus d’un an.

Pour le reste, pour le monde d’après, pour l’indispensable transformation de celui que nous subissions et pour lequel le Coronavirus pourrait bien constituer la dernière semonce avant un coup bien plus fatal encore, la sagesse recommanderait à un pouvoir qui, dit-on, a déjà peur de ses réactions, que le peuple puisse s’exprimer démocratiquement, souverainement le plus rapidement possible afin que soient tirées les leçons de la crise. Pour notre part nous y sommes prêts.

lafranceinsoumise.fr/2020/04/13/le-monde-dapres-peut-commencer-maintenant-lavenir-en-commun-mis-a-jour/