« La plupart des chercheurs, quels que soient leurs sujets aujourd’hui, notamment les prix Nobel, sont obligés de partir à l’étranger tellement vous détruisez la recherche publique ! » –

Ces mots, je les prononçais en Novembre 2019. Une période sans le COVID, sans le confinement, ni le reconfinement, ni la peur du re-reconfinement. Une époque sans couvre-feu, ni re-couvre-feu, ni couvre-feu « anti-apéro de 18h ». Cela semble une éternité, en somme.

Une éternité, c’est peut-être le mot le plus adapté pour qualifier nos alertes concernant la politique de Sanofi. Cela fait longtemps qu’on les dénonce, ces attaques portées contre la recherche publique en France. Cela fait longtemps, que l’on alerte sur les départs des chercheurs français hors de France. Ou de nos laboratoires de recherche démantelés. Et ce, malgré les centaines de millions  d’euros d’aides publiques donnés à Sanofi

Encore avant, en mars 2018, je faisais référence, en commission finances, à ces grands mouvements de chercheurs de 2014, ou aux manifestations de 2013, auxquelles je participais à l’époque, (Cf. photo ci-joint !) qui se faisaient elles-mêmes l’écho d’une autre grande mobilisation 10 ans avant, pour dénoncer les baisses de budget dans la recherche publique.

 

Cela semble si loin. Et pourtant, les effets concrets de l’incapacité des gouvernements à entendre ces alertes sont plus que jamais d’actualité. Pas de vision, pas de volonté politique : Macron, et ses prédécesseurs, nous ont fait sauter dans le vide en matière sanitaire. Et comme le dit le dicton, l’important, ce n’est pas la chute : c’est l’atterrissage. Et avec le COVID, la France s’est écrasée.

Car voila la triste vérité : En 2007, la France était décrite par le réalisateur Michael Moore comme un modèle en matière de système de Santé. Aujourd’hui, elle est parmi les pays européens les plus lents à vacciner, les pénuries s’enchaînent, et les centres de recherches disparaissent les uns après les autres. Masques, tests, vaccinations : la désorganisation est généralisée.

Cette destruction de notre système de recherche s’est réalisée sous nos yeux. Et le pire, c’est qu’elle continue !

En 2008, on comptait 28 000 salariés chez Sanofi en France. Ils ne sont aujourd’hui plus que 22 000. Parmi les effectifs en CDI, 2000 personnes sont en contrats suspendus : 10% de ces effectifs sont par exemple en congés de fin de carrière. Les embauches de jeunes deviennent rares. Le résultat est prévisible : A l’horizon 2023, la CGT pense qu’il restera environ 15 000 salariés. En lisant ces chiffres, on comprend vite pourquoi Sanofi annonçait encore cette semaine vouloir supprimer 400 postes en France… Des baisses d’effectifs en raison d’une mauvaise santé économique ? Que non, au contraire, jamais les actionnaires de Sanofi ne se sont autant gavés.

Niveau infrastructures, le carnage est le même : En 2006, on pouvait également compter 11 sites de Recherche et de Développement de Sanofi en France. Dans un an, il n’en restera plus que 3. Dans le dernier site à faire du développement chimique, celui de Montpellier, les salariés sentent bien qu’un retrait est en cours : ils étaient 1500 salariés il y a quelques années, ils ne sont aujourd’hui plus que 600 à 700 salariés.

Durant tout ce temps, la production des principes actifs (c’est-à-dire de la molécule qui soigne, que l’on obtient avec la chimie, la biochimie ou la biotechnologie) des médicaments a été délocalisée, en Inde et en Chine. Pour ceux qui pensent qu’il s’agit d’une décision irréversible, détrompez-vous : la CGT estime à seulement 50 Millions d’euros le coût d’une réindustrialisation française de la production du fameux Paracétamol (qui est présente dans le tout aussi célèbre Doliprane)… tout simplement car les installations existent encore (pour l’instant !)

Mais le gouvernement se défend ! Il y aurait, selon lui, un changement de cap chez Sanofi ! Après l’annonce du géant de la pharmaceutique, en Juin 2020, d’investir 600 Millions € en France dans la Recherche et la production de vaccins, Emmanuel Macron a fait ce qu’il sait faire de mieux : une conférence de presse !

Nous sommes sauvés : malgré des années de destruction d’emplois et de sites, il aura donc suffi que Sanofi déclare vouloir créer une « nouvelle entité de production de principes actifs », permettant de produire pour les laboratoires en France ! Evidemment, notre Président a gobé tout cru ces annonces. Il n’a pas jugé non plus utile de se demander s’il était normal qu’une entreprise, partie pour le profit, revienne en France… en demandant de l’argent à l’Etat ! Nul doute que son amitié revendiquée avec Serge Weinberg, président du conseil d’administration de Sanofi, a du aider à cette cécité.

Pourtant, s’il avait pris la peine de lire les notes de bas de page, il se serait d’ailleurs demandé quelque chose : qui va gérer cette « nouvelle entité » ? Pas Sanofi, visiblement, qui ne gèrera que 30% de la société. Sanofi a présenté la BPI (Banque Publique d’Investissement) comme un investisseur, à hauteur de 15%. Sauf que lors de sa dernière rencontre avec la CGT, la BPI n’avait toujours pas validé ce projet : elle se pose des questions sur la validité de la chose.

Ce qu’il va se passer est cousu de fil blanc. Comme beaucoup d’entreprises capitalistes, Sanofi va externaliser les risques, et internaliser les bénéfices. En d’autres termes, elle va pousser à la multiplication des start-up qui vont, dans la jungle libérale, soit réussir, soit mourir ! En cas d’échec d’une start-up, Sanofi ne perdra rien. En cas de succès, elle pourra toujours racheter la boîte, ou acheter ses principes actifs…

Et le plus incroyable, c’est que puisque nous vivons dans la « start-up Nation » de Macron, c’est que l’Etat peut d’ores et déjà financer des start-up avec l’argent public ! En résumé : Pile, Sanofi gagne. Face, on perd.

Malgré les belles paroles, donc, Sanofi se désosse. Pourquoi ? Simplement car le groupe est en train d’abandonner les recherches qui engrangent le moins de bénéfices. On parle souvent du COVID et de l’incapacité de la France à produire des vaccins en ce moment, à juste titre.

Ce retard ne vient pas de nulle part. Car comment faire « la guerre » au COVID, comme aime le dire notre Président de la République, avec moins de chercheurs mobilisables, moins de centres de recherche, moins de centres de production ? Avec une recherche publique fondamentale qui, elle aussi au fil des projets de loi, a été dégradée ?

Mais la suite est encore plus insupportable.

Car à Sanofi, la priorité est donnée aux médicaments, notamment à base d’anticorps, qui coûtent une fortune. Certains sont d’ailleurs utiles, c’est le cas des traitements immunologiques, ou du traitement des cancers.

Mais si vous voulez une raison profonde du désengagement de Sanofi en France, c’est parce que d’autres axes thérapeutiques, bien moins rentables, sont abandonnés… alors qu’ils sont plus qu’essentiels socialement. C’est ainsi que la France abandonne des recherches sur le diabète, sur l’oncologie, sur l’anti-infectieux, sur Alzheimer ou sur Parkinson. Les recherches continueront, oui, mais aux Etats-Unis, ou en Chine.

En réalité, ce que dit Sanofi à une partie de la population, notamment à nos anciens, c’est qu’aider à soigner ces pathologies comme Alzheimer ne rapporte pas assez d’argent pour eux. Et c’est peut-être le fait le plus scandaleux de cette histoire tragique que je vous aurai raconté aujourd’hui.

Cette tragédie n’est pas inéluctable. Il est parfaitement possible de reprendre le contrôle et de regagner en souveraineté dans le domaine de la Santé et des médicaments. Pour Sanofi, qui est littéralement sous perfusion de l’argent des français (puisque nombre de médicaments sont remboursés par la Sécurité Sociale, donc nos impôts), la nationalisation de l’entreprise constitue une première étape essentielle, logique et justifiée vers un pôle public du médicament.